« Ressort » : réinsertion et santé mentale

Une équipe mobile de psychiatrie collabore avec les médecins, les services sociaux et ­l’assurance-invalidité pour permettre aux personnes atteintes de troubles psychiques de trouver, éventuellement de garder un emploi ou une formation dans la première économie.
Danièle Spagnoli
  |  01 juin 2018
  • Assurance-invalidité
  • Collaboration interinstitutionnelle (CII)
  • Réadaptation

Les personnes atteintes de troubles psychiatriques souhaitent pour la plupart reprendre « une vie normale », et notamment une activité professionnelle. Mais de nombreux obstacles peuvent s’élever sur la route de cet objectif, tant sur le plan personnel (perte de confiance en soi, craintes vis-à-vis du marché de l’emploi) que sur le plan professionnel (CV à trous difficiles à expliquer, éloignement du marché de l’emploi). Les traitements psychiatriques tiennent encore trop peu compte de la question de l’insertion professionnelle. Quant aux mesures d’insertion professionnelles des divers régimes d’assurances sociales (chômage, aide sociale, assurance-invalidité), elles ne sont pas vraiment pensées pour faire face aux troubles psychiques, alors même que le nombre des bénéficiaires concernés semble augmenter. Selon les épidémiologues, ce phénomène, attesté par tous les acteurs de terrain, ne trouve pas son origine dans la hausse des troubles psychiques. Il serait bien plus dû au durcissement du marché de l’emploi, dont les exigences en terme de diplômes, de rendement, de polyvalence et de savoir-être tendent à exclure davantage les personnes les plus fragiles ou les moins adaptables. La situation est donc difficile aussi bien pour les individus (exclusion, paupérisation, péjoration voire chronification des troubles) que pour la société dans son ensemble (coûts pour le chômage, l’assurance-invalidité et l’aide sociale, probable impact indirect sur les coûts de la santé).

Problème complexe, solution complexe Dans le sillage de la 5e révision de la loi sur l’assurance-invalidité, qui avait pour but de freiner le nombre de nouvelles rentes AI et de promouvoir la réinsertion professionnelle, l’unité de réhabilitation du Service de psychiatrie communautaire du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) a lancé en 2009 le projet « Ressort ». Son mandat initial est d’explorer les modalités de réinsertion professionnelle des personnes atteintes de troubles psychiques et éloignées du marché de l’emploi ou en difficulté au travail, ainsi que d’identifier et d’établir les collaborations utiles, en fonction du postulat selon lequel un acteur ne peut résoudre seul une problématique aussi complexe que l’insertion professionnelle, située à l’interface avec le social et l’économie.

L’Office de l’assurance-invalidité (OAI) du canton de Vaud soutient immédiatement le projet, qui fait écho à l’accent porté par l’AI sur la réinsertion et au nombre important de demandes AI pour raisons psychiques. Concrètement, l’apport de l’OAI au projet consiste en 2,3 postes de spécialistes en réinsertion de l’AI délégués aux différentes antennes de « Ressort ». La présence de ces délégués vise à améliorer le savoir-faire réinsertionnel pour les assurés avec des troubles psychiques. Elle a aussi permis, en personnifiant le rôle de liaison entre l’OAI et les institutions psychiatriques (le Département de psychiatrie du CHUV et la Fondation de Nant), d’améliorer notablement la connaissance mutuelle et la collaboration.

Pour sa part, le Service de prévoyance et d’aides sociales (SPAS) donne à « Ressort » un mandat consistant à évaluer la santé mentale de certains bénéficiaires de l’aide sociale, puis de les accompagner le cas échéant vers des soins spécialisés appropriés au sein du réseau psychiatrique (public ou privé). Cette mission d’« engagement dans les soins » (environ 40 % des interventions de « Ressort ») permet de détecter précocement les troubles à risque de péjoration, d’identifier les freins à l’insertion professionnelle et, dans certains cas, de suggérer et d’étayer une demande à l’AI.

Le soutien politique a été déterminant pour la pé­rén­nisation du dispositif : le ministre de la santé et du social Pierre-Yves Maillard a favorisé l’extension de « Ressort » aux secteurs périphériques vaudois, réalisée dès 2014 grâce au financement conjoint du SPAS (5,1 postes sur l’ensemble du canton) et de la santé publique (4,2 postes dans les secteurs psychiatriques à Yverdon, Prangins et Montreux). Ce développement s’inscrit de façon cohérente dans la politique sociale vaudoise, qui met une emphase importante sur la mobilisation et l’insertion des bénéficiaires de l’aide sociale, et en particulier sur l’accès des plus jeunes d’entre eux à une formation professionnelle par le biais des FORJAD.

Les résultats L’évolution de « Ressort » et sa pérennisation ont été rapides : de 2 postes en 2009 le dispositif a passé en 2018 à 8,1 postes à Lausanne ainsi qu’à 2,9 postes dans chaque secteur psychiatrique périphérique. Cette progression a été légitimée par l’importance et la stabilité des nouvelles demandes (en moyenne 188 par an pour Lausanne), témoignant de besoins très importants.

L’engagement dans les soins et la réinsertion professionnelle sont complémentaires et concernent toutes deux des personnes dont les troubles psychiques occasionnent un obstacle à l’insertion professionnelle. La différence tient dans des temporalités différentes (en amont du traitement des troubles ou en aval, lorsque la personne se sent prête à retravailler).

La filière d’engagement dans les soins permet d’orienter environ 60 % des personnes évaluées vers des prises en charges adéquates (essentiellement psychiatriques ou psychologiques) et éventuellement vers l’AI. Elle identifie de nombreuses situations dans lesquelles les problèmes de santé mentale sont la cause des difficultés d’insertion et évite que les bénéficiaires restent « au social » pendant des années et développent des atteintes chroniques.

La filière de réinsertion professionnelle présente des résultats qui varient entre 30 % et 42 % d’accès à l’emploi (postes dans le premier marché du travail) ou à la formation (généralement de type CFC). Le programme utilise le modèle Individual Placement and Support (IPS), dont l’efficacité pour les personnes atteintes de troubles psychiques est largement démontrée (Hoffmann 2014). IPS se caractérise par sa cible (premier marché de l’emploi) et par sa méthode (brève période d’évaluation, contacts rapides avec le marché de l’emploi, selon le modèle Place then Train). Enfin, sa philosophie est empruntée au courant du rétablissement(recovery) et place le bénéficiaire au centre du processus. Le projet professionnel est défini en fonction de ses limitations et de ses désirs, quitte à sembler peu réaliste : la confrontation à la réalité du marché de l’emploi permet généralement à la personne de réaliser rapidement les limites de son projet, d’en faire le deuil et de participer à la co-construction d’un projet alternatif, en évitant un blocage créé par le sentiment d’avoir été contraint ou pas respecté.

Les particularités et les points forts L’intégration de « Ressort » dans le milieu psychiatrique permet d’une part de réintégrer l’enjeu de la réinsertion professionnelle dans les traitements psychiatriques. D’autre part, elle légitime et facilite la collaboration avec le réseau médical des usagers, portant ainsi une attention particulière à la santé mentale durant le processus de réinsertion. Cette question de la collaboration avec les médecins traitants est centrale pour la réussite de la réinsertion, comme l’ont notamment souligné Baer et al. (2017) et le rapport de l’OCDE (2014). La connaissance des patients et de leurs mécanismes est indispensable pour assurer l’accompagnement de réinsertion le plus adéquat, et se complète à son tour des observations réalisées sur le terrain par les intervenants « Ressort ».

Le partenariat avec l’OAI permet aux partenaires médicaux et sociaux de « Ressort » d’améliorer leur connaissance de l’AI et favorise donc une collaboration plus efficace. Il favorise également entre le milieu médical et l’OAI un échange d’informations pertinentes (concernant surtout les limitations fonctionnelles observées) et qui facilite la réinsertion. Le partenariat avec les services sociaux permet l’identification précoce des troubles psychiques chez les bénéficiaires de l’aide sociale, en évitant la péjoration des troubles et le développement d’une invalidité.

La coordination du processus de réinsertion par une personne de référence (l’intervenant de « Ressort ») qui organise la collaboration en réseau est un facteur de réussite déterminant. Cette façon de faire est non seulement utile et rassurante pour le candidat, mais elle garantit aussi que les acteurs concernés (services sociaux, OAI, réseau médical) se coordonnent. Cela permet également d’éviter de reproduire des mesures qui n’ont pas été utiles.

La prise en charge est caractérisée par un suivi individualisé, sur le terrain, qui se poursuit au-delà de l’accès à un emploi (maintien en emploi) et s’adapte aux besoins spécifiques du candidat. Le nombre de dossiers confiés à chaque intervenant ne dépasse pas 20 pour un plein temps, ce qui permet beaucoup de disponibilité et de réactivité. Cette particularité, qui tranche radicalement avec les pratiques en usage dans les milieux de réinsertion, se révèle être une condition déterminante de succès pour permettre à cette population vulnérable de réintégrer le marché de l’emploi.

Enfin, la collaboration avec les employeurs est un facteur de succès d’autant plus important que les limitations fonctionnelles sont nombreuses. Ces contacts permettent d’informer sur les troubles psychiques, contribuant ainsi à les déstig­matiser. Par ailleurs ils augmentent la probabilité qu’un employeur sollicite une intervention pour un employé rencontrant des difficultés d’ajustement en raison de troubles psychiques, plutôt que décide simplement de le licencier.

Psychologue et coordinatrice cantonale de « Ressort », Département de psychiatrie du CHUV.
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