Réflexions sur une future politique de la vieillesse

Pro Senectute s’engage pour que les personnes âgées puissent vivre aussi longtemps que possible chez elles de manière autonome, ce qui serait souhaitable non seulement du point de vue spécialiste, mais aussi pour des raisons économiques et sociales.
Alain Huber
  |  14 mars 2019
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Nous aimerions tous, ou presque tous, vieillir à la maison, là où se trouve notre réseau social, où nous avons des voisins à qui demander de l’aide. Cet environnement familier rassure lorsque le corps impose de nouvelles limites. Et quand le rayon d’action diminue, le chez-soi devient le centre de la vie (Höpflinger/Van Wezemael 2014).

Les personnes âgées qui souhaitent vivre aussi longtemps que possible chez elles ont tôt ou tard besoin d’aide. Selon une enquête menée en 2014 par l’Institut gfs de Zurich, 62 % d’entre elles préfèrent être aidées ou soignées par des membres de leur famille ; plus de la moitié des personnes interrogées (51 %) jugent souhaitables les prestations de soins à domicile et un quart ne peut s’imaginer entrer en EMS.

Une forte demande pour l’aide à domicile 
À l’heure actuelle, les retraités vivent de manière relativement autonome jusqu’à un âge très avancé. Ils peuvent le faire parce qu’ils restent plus longtemps en bonne santé et qu’ils bénéficient d’une aide à domicile. Par ailleurs, pour la génération des baby-boomers, le fait d’être autonome revêt une importance considérable. On enregistera donc ces prochaines années une augmentation du nombre de personnes de plus de 85 ans vivant toujours chez elles (Eugster/Jeanneret 2015).

Les observations faites par Curaviva Suisse et les chiffres 2017 de l’Office fédéral de la statistique (OFS) confirment cette tendance. Selon Curaviva Suisse, les aînés n’entrent en EMS qu’après 80 ans en moyenne. Et les statistiques officielles indiquent que le nombre d’heures de soins à domicile a augmenté de 7 % en 2017, tandis que celui des journées d’hébergement dans les EMS n’a enregistré qu’une hausse modérée, de 0,7 %. Quant aux prestations d’aide à domicile, elles ont augmenté de plus de 10 %. Les statistiques montrent aussi que les personnes de 65 à 79 ans recourent, à domicile, à presque autant d’heures d’assistance que de soins (cf. graphique G1).

Une situation paradoxale Les prestations d’aide à domicile fournies par des professionnels ont des coûts, que l’assurance obligatoire des soins ne prend pas en charge. Les aînés et leurs familles qui souhaitent y recourir doivent les financer eux-mêmes, ce que nombre d’entre eux ont bien de la peine à faire. Quand une personne âgée ne bénéficie pas de l’aide dont elle a besoin au quotidien et qu’elle doit en plus recevoir des soins à domicile, elle est souvent placée en home. Andrea Grünenfelder, responsable du secteur Logement et Habitat auprès de l’Institut Neumünster (Zurich), fait les constats suivants dans son rapport de 2016 : « Actuellement, on prescrit un changement de prise en charge, de l’ambulatoire au résidentiel, dès qu’une personne a besoin de plus de 60 minutes environ de soins par jour. » Et d’expliquer : « Pour une caisse-maladie, un assuré revient (…) moins cher s’il est mis en institution, même s’il n’a besoin que de peu de soins, parce que la participation de la caisse aux frais est alors relativement faible. » Une situation pour le moins paradoxale puisque, toujours selon Andrea Grünenfelder, « une solution ambulatoire est pratiquement toujours meilleur marché, quel que soit le degré de soins nécessaire » (Grünenfelder 2016, pp. 16-17).

En 2017, selon l’OFS, les frais d’exploitation en home se sont élevés en moyenne à 9000 francs par résident et par mois, alors que les coûts des prestations d’aide et de soins à domicile atteignaient une moyenne de 580 francs par personne et par mois. Comme les pensionnaires des homes paient de leur poche les coûts d’hôtellerie et de prise en charge, ils voient leur fortune fondre rapidement, et nombre d’entre eux doivent recourir aux prestations complémentaires une fois leurs fonds épuisés.

Le placement en home revient donc cher aux communes et à la société, tout comme aux particuliers, situation que l’OFSP, dans son évaluation du nouveau régime de financement des soins (NRFS), explique ainsi : « Le NRFS fait supporter aux cantons et aux communes une charge financière considérablement accrue, l’augmentation étant moindre dans le domaine des soins à domicile que dans celui des EMS. » (Trageser et al. 2018, p. 8).

On sait maintenant en effet que, dans bien des cas, une prise en charge ambulatoire suffit. L’économiste de la santé Ruth Koeppel constate à ce sujet : « Personne ne conteste que l’objectif est de donner la préférence à l’ambulatoire sur le résidentiel, ou de combiner les deux. Dans la pratique, toutefois, les pouvoirs publics doivent faire preuve d’ingéniosité pour élaborer des plans directeurs et des incitations qui aboutissent à la mise en place d’une offre cohérente et efficiente pour les personnes âgées et très âgées » (Koeppel 2017, p. 18).

Les interactions entre aide et soins La Constitution fédérale, à son art. 112c, inscrit une vision globale de l’aide aux personnes âgées. Cantons et communes ne sont pas seulement tenus de garantir les soins, mais aussi l’aide à domicile. Toute personne qui n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a, selon l’art. 12, le droit d’être aidée et assistée. Carlo Knöpfel, dans son étude de 2018, constate que l’assistance n’est toutefois pas définie de manière explicite dans la législation, ce qui lui donne moins de poids dans la politique de la vieillesse. Il souligne aussi que, jusqu’à présent, on s’est borné à définir les prestations d’assistance par opposition aux prestations de soins remboursables par les caisses-maladie en vertu de l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins. La notion d’aide, ou d’assistance, regroupe par conséquent toutes les formes de soutien qui ne relèvent pas des soins (Knöpfel et al. 2018, pp. 29-30).

Actuellement, une grande partie de cette aide est assumée par les proches, pour un total d’environ 1,5 milliard d’heures par an (OFS 2017). Le sociologue de la vieillesse François Höpflinger observait déjà en 2015 qu’aujourd’hui les familles sont moins nombreuses, que les générations ne vivent la plupart du temps pas sous le même toit et que le nombre de femmes actives professionnellement augmente. En d’autres termes, les proches doivent organiser et planifier la prise en charge de la personne âgée. Pour alléger leur charge, certaines familles recourent par conséquent aux services de prestataires à but lucratif ou d’organisations non gouvernementales (ONG).

Pro Senectute est, comme on le sait, l’une de ces organisations. Elle propose des prestations d’assistance sous forme de démarches administratives, de visites, d’aide au ménage ou d’accompagnement. Pro Senectute conçoit ses offres de manière à ce qu’elles soient accessibles à tous, abordables même pour les petits budgets et présentes sur l’ensemble du territoire. L’aspect relationnel revêt une grande importance dans ses prestations d’assistance, qui sont fournies avant tout par des bénévoles. L’assistance, si elle est fondée sur la relation, permet de lutter contre l’isolement, comprend des facteurs d’activation et stimule les aptitudes somatiques et cognitives (Knöpfel et al. 2018, p. 27). Selon Carlo Knöpfel, les bénévoles fournissent presque deux fois plus d’heures d’aide et de soins que les prestataires de services à domicile professionnels. Pro Senectute, par l’engagement de ses bénévoles, fait donc de la prévention dans le domaine de la santé, et cela dans toute la Suisse.

Les bénévoles ont besoin du soutien de professionnels. Ils doivent être formés, motivés et accompagnés, surtout pour les tâches récurrentes, dans lesquelles l’aspect relationnel est essentiel. Or, ce suivi professionnel n’étant pas encore suffisamment financé, Pro Senectute doit y consacrer une bonne partie des dons qui lui sont faits. De plus, comme le constatent les spécialistes, quand cette assistance par des bénévoles vient à manquer, les personnes âgées de condition modeste se retrouvent livrées à elles-mêmes, et le danger d’un déséquilibre au sein de la société se dessine.

Nécessité d’une approche interdisciplinaire La qualité de vie des personnes âgées dépend notamment des infrastructures présentes sur leur lieu de vie. Les communes devront par conséquent redoubler d’efforts pour mettre en place un cadre de vie qui soit non seulement économiquement viable, mais qui tienne aussi suffisamment compte des besoins des générations actuelle et futures de personnes âgées. Les spécialistes estiment que cela ne saurait se limiter à créer des places dans les EMS et à proposer des soins ambulatoires. Aujourd’hui, une véritable politique de la vieillesse doit s’inscrire dans un cadre interdisciplinaire, participatif et coopératif. Pro Senectute aide depuis un certain temps les communes dans cette démarche, en leur offrant suivi et conseils.

  • Interdisciplinarité : en menant une politique de la vieillesse intégrée et en assurant son pilotage, les pouvoirs publics permettent à toutes les parties prenantes, c’est-à-dire non seulement à la santé et aux affaires sociales, mais aussi à la construction, à l’aménagement du territoire, à la planification des transports et aux finances, d’interagir pour œuvrer à l’intégration sociale des aînés.
  • Participation : dans l’idéal, une politique de la vieillesse intégrée est conçue avec toutes les parties prenantes, en prenant en compte les besoins exprimés ainsi que les idées et les pistes de solution proposées par la population, qui se révèlent souvent très utiles. Nous pensons notamment aux personnes difficilement atteignables, aux fournisseurs résidentiels et ambulatoires de soins et d’aide ainsi qu’aux divers services administratifs et à l’économie locale.
  • Coopération : dans l’idéal, toutes les parties concernées devraient aussi être associées à la mise en œuvre, car leur participation est gage de réussite pour ladite politique et renforce l’identification avec la commune. Comme l’ont confirmé plusieurs évaluations de projets participatifs, ce type de démarche révèle des ressources et des compétences jusque-là insoupçonnées (Otto et al. 2015 ; Soom Amann, Salis Gross 2011).

Conclusions

Repenser l’assistance Carlo Knöpfel estime que si l’on veut éviter que ne se creusent les inégalités entre les personnes âgées et permettre à tous de vieillir dans la dignité, il est utile de repenser l’aide fournie aux aînés en Suisse. Il en appelle à une nouvelle conception de l’assistance, qui soit globale et intégrée (Knöpfel et al. 2018, p. 13).

  • Dans l’idéal, l’aide et les soins devraient être pensés conjointement et la conception des futures offres devrait associer les compétences de plusieurs professions.

Financer l’assistance Il faudrait revoir le remboursement des prestations d’aide. L’on pourrait envisager pour cela d’intégrer les prestations d’aide dans l’assurance de base (LAMal) afin de permettre à tous d’y avoir accès.

  • Les proches aidants qui s’occupent de personnes âgées tout en travaillant devraient être indemnisés pour compenser la diminution de leur taux d’activité, sans quoi une partie d’entre eux pourrait être menacés de pauvreté au moment de leur retraite.
  • L’aide devrait être soutenue financièrement, comme cela se fait pour les soins. Il serait envisageable de réglementer l’aide et les soins de manière à mieux assurer leur financement, comme c’est le cas pour les allocations pour perte de gain en cas de service ou de maternité.

Assurer un pilotage actif Comme l’affirme Carlo Knöpfel, les aînés ont besoin de solutions d’assistance et de soins dans lesquelles les relations interpersonnelles occupent une place de choix, et ces prestations doivent mieux répondre aux besoins individuels des personnes âgées (Knöpfel et al. 2018, p. 13).

Or, plusieurs évaluations de projet montrent que les prestataires de services professionnels négligent souvent quelque peu l’aspect relationnel et travaillent avant tout en fonction de leurs propres choix organisationnels. Ils étoffent leur catalogue de prestations sans prévoir suffisamment de ressources pour que le personnel puisse assumer ce travail supplémentaire. Les collaborateurs ne disposent souvent pas d’assez de temps pour réaliser leur tâche première, avec pour résultat une frustration des employés et un besoin en contacts sociaux non comblé chez leurs clients (Programme « Socius – wenn Älterwerden Hilfe braucht »).

  • Le législateur devrait davantage réglementer la collaboration entre les prestataires de services, collaboration que plusieurs parties prenantes appellent de leurs vœux. Il serait intéressant de voir comment évoluerait un tel modèle si les autorités communales ou cantonales imposaient, par le biais de contrats de prestations, des coopérations obligées entre les prestataires professionnels et les bénévoles œuvrant hors structure formelle.

Associer la société civile Pour les personnes âgées, le voisinage gagne en importance, et cela d’autant plus que leurs proches vivent loin d’elles. Le quartier joue en effet un rôle clé dans le quotidien des aînés nécessitant une prise en charge, puisque voisins ou bénévoles peuvent leur rendre des petits services très utiles. Les aides de voisinage telles que les repas de midi en commun bénéficient généralement d’un soutien financier à leur lancement, mais dès qu’elles fonctionnent, tant les politiciens que l’administration publique partent généralement du principe qu’il suffit de rembourser leurs frais et de les remercier une fois par an pour le travail accompli, et que le soutien financier peut s’arrêter là. Or, le travail bénévole n’est pas gratuit, il est seulement meilleur marché. Trouver des bénévoles qui accordent au moins autant d’importance à la relation qu’à la prestation fournie n’est pas facile et demande beaucoup de temps. Ce sont des ONG comme Pro Senectute qui s’en chargent, généralement sans être rétribuées. Pour financer ce travail, elles doivent donc faire de la recherche de dons ou trouver d’autres sources de financement.

  • Les pouvoirs publics doivent eux aussi reconnaître davantage l’importance du suivi professionnel des bénévoles, et cette reconnaissance doit également être financière, sans quoi nous risquons à l’avenir de voir se développer des in­égalités dans l’assistance aux personnes âgées.

Le bénévolat, un modèle dépassé ? Le nombre de personnes âgées ayant besoin d’aide augmente, tandis que de moins en moins de personnes s’engagent comme bénévoles. D’une part, notre société mobile et individualiste compte toujours moins de personnes disposées à s’engager à long terme dans une activité non rémunérée ; d’autre part, le nombre de celles qui peuvent se permettre de le faire diminue lui aussi (Samochowiec et al. 2018). Nous nous attendons à ce que la pauvreté des aînés augmente plutôt et à ce que de nombreuses personnes ayant l’âge de la retraite doivent garder des emplois accessoires pour survivre économiquement, et soient donc moins disposés à faire du bénévolat. Il devient par conséquent particulièrement important de concevoir de nouveaux modèles de soutien et d’aide à domicile pour les aînés. Voici à ce sujet deux pistes de solution :

  • Chaque individu est tenu de fournir, au cours de sa vie professionnelle, un certain nombre de prestations d’aide, limitées dans le temps, en faveur des aînés.
  • Les retraités bénéficiant de prestations complémentaires et les chômeurs de longue durée obtiennent une compensation financière quand ils assistent des personnes âgées. Cette « activité professionnelle » pourrait par exemple être financée par la TVA et ne pas être imposable.

Pour conclure Les professionnels sont d’avis qu’il faut penser encore davantage l’assistance aux personnes âgées comme un tout, peu importe qu’elle se fasse à domicile ou en institution. Pour que les aînés puissent rester le plus longtemps possible chez eux et y vivre de manière autonome, il faut adopter des stratégies intégrées, à même d’améliorer les conditions de base. Un maître mot s’impose ici : collaboration. Il faut associer activement les personnes âgées et trouver, au plan institutionnel, de nouvelles formes de coopération et de nouveaux modèles de financement. « Plus forts ensemble », la devise de Pro Senecute, prend ainsi tout son sens.

Lic. phil. I, responsable du domaine Thèmes spécialisés auprès de Pro Senectute Suisse.
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