Les CCT au service de l’insertion professionnelle

La participation des personnes handicapées à la vie active stagne. Or les conventions ­collectives de travail (CCT) pourraient permettre d’y remédier. Travail.Suisse a analysé le rôle des CCT dans l’intégration sur le marché de l’emploi et constate que celles-ci offrent ­plusieurs axes d’intervention.
Bruno Weber-Gobet
  |  01 juin 2018
  • Assurance-invalidité
  • Réadaptation

En quelques années, l’intégration des personnes en situation de handicap sur le marché du travail est devenue une préoccupation politique, économique et sociétale largement reconnue. Mais c’est d’abord pour les personnes concernées que le travail et l’emploi revêtent une grande importance, notamment parce qu’ils sont la condition essentielle d’une existence autodéterminée et d’une participation égale en droits à la vie sociale.

Bien que de nombreuses mesures visant à renforcer l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap aient été prises, une évaluation de la loi sur l’égalité pour les handicapés (LHand) a révélé que les perspectives professionnelles de ces personnes ne se sont pas fondamentalement améliorées depuis l’entrée en vigueur de ladite loi en 2004 (voir Communauté de travail BASS/ZHAW 2015). Ce bilan décevant trouve également écho dans les chiffres actuels de l’Office fédéral de la statistique (OFS) relatifs à la participation effective au marché du travail des personnes handicapées (OFS 2017a et 2017b). En 2015, 68 % des personnes handicapées en âge de travailler occupaient un emploi. Ce taux reste nettement inférieur à celui des personnes non handicapées, parmi lesquelles 84 % ont une activité professionnelle (voir graphique G1).

Des conventions collectives de travail au potentiel spécifique En dépit de la volonté marquée de promouvoir l’insertion professionnelle dans le cadre des assurances sociales, en particulier de l’assurance-invalidité, et de divers efforts consentis par d’autres acteurs, la participation au marché du travail des personnes en situation de handicap ne connaît pas d’amélioration. Cette situation est non seulement intolérable pour les personnes concernées, mais également insatisfaisante dans le contexte de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et des coûts substantiels auxquels font face les assurances sociales. Des efforts accrus s’imposent donc dans ce domaine et le projet «Favoriser l’intégration des personnes en situation de handicap sur le marché du travail au moyen de conventions collectives» de Travail.Suisse s’inscrit dans cette volonté.

En tant qu’accords entre des employeurs ou des associations d’employeurs et des associations de travailleurs, les CCT possèdent un potentiel spécifique de contribuer à la participation au marché du travail des personnes en situation de handicap. Elles permettent de trouver des solutions sectorielles qui sont mieux adaptées à la situation d’une branche ou d’une entreprise particulière que des dispositions légales qui ont force obligatoire et s’appliquent à tous sans distinction. Les besoins des personnes handicapées étant différents selon le type de handicap (physique, mental, psychique, polyhandicap) et la situation de chacune selon qu’elle est au bénéfice d’une rente, d’une formation, d’un emploi, etc. ou non, des dispositions sectorielles peuvent être très utiles à leur intégration professionnelle.

Objectifs du projet Compte tenu du potentiel des CCT, il paraît judicieux d’accorder davantage d’attention à leur rôle dans l’insertion des personnes handicapées sur le marché du travail. C’est précisément l’objectif du projet de Travail.Suisse, soutenu depuis 2016 par le Bureau fédéral de l’égalité pour les personnes handicapées (BFEH) et cofinancé par l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

Le projet comprend trois étapes : dans un premier temps, un rapport intermédiaire (Weber-Gobet 2017) a été rédigé sur la base d’interviews et d’une analyse de documents. Ce rapport présente les objectifs du projet, mentionne les dispositions existantes repérées dans les différentes CCT, identifie des lacunes et formule des propositions à l’intention des partenaires sociaux. Au cours de 2018, et c’est là la deuxième étape, les partenaires sociaux seront sensibilisés à la thématique, invités à en discuter et à la prendre en compte dans leurs négociations en vue de nouvelles CCT, de sorte que celles-ci intègrent des dispositions nouvelles ou complémentaires sur ce sujet. La troisième étape, qui se déroulera au premier semestre 2019, consistera à vérifier si les propositions du rapport ont été retenues dans les nouvelles CCT et de quelle manière.

Accord paritaire genevois : un dispositif reposant sur la CCT, mais ­distinct de celle-ci

Soucieux de permettre le maintien en emploi en cas de maladie ou d’accident, le secteur du bâtiment genevois, qui compte quelque 14 000 emplois répartis entre 1200 petites ou très petites entreprises, a conclu en 2009 une convention entre partenaires sociaux et assureurs, l’accord paritaire genevois (www.fmb-ge.ch > Prestations entreprises) qui, s’il dépasse le cadre d’organisation de la CCT, s’inspire du principe du partenariat social (Ankers/Flamand-Lew 2017). Des procédures standardisées, un meilleur financement des mesures et des rencontres mensuelles où sont abordés les cas concrets permettent de résoudre les difficultés de nature humaine comme les obstacles assurantiels. La force de la structure et de la tradition en matière de partenariat social de ce secteur – par ailleurs complètement couvert par des conventions collectives de force obligatoire – explique le succès de ce dispositif de réadaptation, qui n’est pas intégré aux CCT mais constitue un accord distinct.

L’accord paritaire genevois a vocation à soutenir les entreprises dans leurs efforts de maintien en emploi et de réinsertion professionnelle de travailleurs malades ou accidentés. Une intervention rapide et coordonnée doit permettre le maintien de la capacité de gain des personnes dont la capacité de travail s’est réduite à la suite d’une maladie ou d’un accident. La nouveauté réside en particulier dans le fait que parmi les signataires se trouvent aussi, outre les partenaires sociaux (employeurs, syndicats), des assureurs privés et des assurances sociales (assurance indemnités journalières en cas de maladie, Suva, AI).

Rédaction CHSS

Déjà quelques réglementations CCT L’étude des CCT en vigueur a déjà permis d’identifier un certain nombre de réglementations favorables à l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap (Weber-Gobet 2017). On trouve tout d’abord des directives portant sur la rémunération en cas de productivité limitée. D’autres dispositions visent au maintien en emploi en cas de maladie ou d’accident. Il arrive aussi qu’une CCT interdise la discrimination des personnes handicapées ou qu’elle définisse des approches possibles pour leur intégration dans un secteur ou une exploitation en particulier.

Les représentants des assurances, des organisations du monde du travail, des associations de handicapés, des institutions sociales, des entreprises d’insertion et des milieux scientifiques interrogés durant cette première étape estiment que la CCT est un instrument tout à fait adéquat pour combler des lacunes dans plusieurs domaines : coaching et formation continue, sensibilisation du personnel, ou réglementation de l’assurance indemnités journalières en cas de maladie et des salaires dans les entreprises sociales.

Propositions à l’intention des partenaires sociaux Les discussions menées avec les professionnels et dans un large groupe de suivi ont permis d’identifier les premiers domaines pour lesquels une réglementation par voie de CCT serait particulièrement adéquate en vue d’améliorer l’insertion des personnes handicapées sur le marché du travail. Ces domaines sont mentionnés dans le rapport intermédiaire du projet. Partant de ces éléments, Travail.Suisse formule des propositions concrètes : il s’agit tout d’abord de vérifier, au moment d’adapter des dispositions ou d’en ajouter de nouvelles, qu’une CCT ne constitue pas un obstacle à l’intégration professionnelle visée, puis de veiller à ce que ces dispositions spécifiques la favorisent.

Les apports utiles d’une CTT sont non seulement la réglementation de la rémunération en cas de productivité réduite, mais aussi la mise en place de structures propres à la branche concernée, qui soutiennent à la fois les entreprises et les personnes handicapées en matière d’insertion. Les possibilités d’intervention étant nombreuses, il peut être judicieux de définir des priorités que ce soit dans les domaines de l’information, de la sensibilisation, du conseil ou du coaching, de la formation continue, de la numérisation ou de l’accessibilité pour tous. En fin de compte, il s’agit en outre de poser la question du financement des mesures envisagées et de la résoudre.

Une nouvelle dimension s’ouvre lorsque les efforts d’insertion vont au-delà du maintien de l’emploi ou de la réinsertion après une maladie ou un accident et qu’ils englobent la première insertion des personnes en situation de handicap sur le marché du travail. Les mesures qui s’imposent alors sont p. ex. la sensibilisation au sein de l’entreprise, des mesures complémentaires à l’AI lors de l’initiation et du coaching, le conseil portant sur l’assurance indemnités journalières en cas de maladie, la nomination d’un responsable d’insertion et un environnement de travail inclusif.

Les mesures de réinsertion n’ont pas seulement pour objectif d’intégrer les personnes handicapées à courte terme, mais aussi et surtout de les maintenir durablement sur le marché du travail. Pour garantir ce caractère durable, il convient d’accorder une importance particulière à la formation continue et au coaching de toutes les personnes impliquées.

Premières réactions des partenaires sociaux Le projet se trouve actuellement dans sa deuxième phase, dont l’objectif est de sensibiliser les partenaires sociaux à la question et de veiller à ce que des dispositions nouvelles ou complémentaires en faveur des personnes en situation de handicap seront intégrées dans les CCT. À ce jour, le projet a été présenté lors de plusieurs rencontres des partenaires sociaux et le rapport a été envoyé à une trentaine d’organisations de branche. Par téléphone, celles-ci ont ensuite été contactées afin de recevoir un premier avis et de prendre un rendez-vous pour la présentation et la discussion du projet en détail. Bien qu’elles se sont montrées en principe ouvertes quant aux finalités du projet, les personnes contactées ne considèrent pas l’intégration des personnes handicapées sur le marché du travail comme une priorité. Elles doutent aussi de la nécessité d’aller au-delà de la possibilité de rémunérer en dessous du salaire minimal les personnes présentant une productivité réduite. Les représentants des branches caractérisées par un risque important d’accident se montrent sceptiques sur l’intégration des personnes en situation de handicap.

Pour finir, il faut mentionner que la décision d’introduire des propositions favorables à l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap dans les négociations relatives à une nouvelle CCT, le choix desdites propositions et, le cas échéant, la décision de les adopter relèvent de la compétence exclusive des partenaires sociaux. L’autonomie qu’ont les partenaires de négociation d’adopter des réglementations répondant aux exigences et aux objectifs spécifiques de leur secteur fait précisément la force du partenariat social.

Lic. théol., responsable politique de formation, Travail.Suisse.
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