La démence est humaine

Une société qui accepte la démence est nécessaire pour que l’on puisse s’occuper des personnes qui en sont atteintes, sans cesser pour autant de s’occuper de soi-même. Tel fut l’un des principaux messages du congrès qui portait sur l’autogestion dans la prise en charge et l’accompagnement des personnes souffrant de démence.
Diana Staudacher
  |  04 mars 2016
  • Assurance-maladie
  • Vieillesse

La confusion, les oublis et la démence font partie de l’être humain, tout comme la vieillesse et la souffrance. C’est sur la base de ce postulat que le professeur Reimer Gronemeyer s’est adressé aux quelque 1000 participants au congrès. Il a insisté sur le fait que la démence n’est pas seulement un problème médicothérapeutique, c’est aussi un problème de société. De son point de vue, il est important de ne pas réduire la démence à une maladie. Il s’agit aussi d’y faire face en agissant avec humanité et en faisant preuve d’une responsabilité sociale. Pour cela, il faut être prêt à accepter que la démence fait partie intégrante de la vie humaine. Ce n’est qu’à partir de ce moment-là que les personnes atteintes de démence et leurs proches ne seront plus isolés du reste de la société. Cela est d’autant plus vrai qu’on a besoin de gens qui « réchauffent » cette société « froide » et axée sur la performance. Tel fut en substance l’appel de Reimer Grone­meyer. Les ­soignants et les proches aidants contribuent déjà de manière exemplaire au « réchauffement de la société ». « La question est de savoir si la société est disposée à accepter la démence. » Ce message fondamental du professeur Gronemeyer a servi de fil rouge durant tout le congrès. 17 intervenantes et intervenants ont mis en évidence le cadre nécessaire pour que « l’autogestion » puisse réussir du point de vue des personnes touchées, des proches et des soignants.

Faire de la démence une priorité sociétale  En Suisse, quelque 119 000 personnes sont atteintes de démence. S’y ajoutent les 28 000 qui sont diagnostiquées chaque année. Sans oublier les 36 000 proches qui sont également affectés par cette maladie. Environ 300 000 professionnels travaillent dans les soins aux personnes atteintes de démence. Brigitta Martensson, directrice de l’Association Alzheimer Suisse, a insisté sur le défi que représentent ces chiffres pour la société.

La moitié des personnes souffrant de démence vit à domicile. Si la maladie progresse, les proches aidants sont souvent sollicités 24 heures sur 24. Il importe donc d’autant plus de les préserver d’un surmenage et d’un épuisement. A cet égard, trois éléments sont importants : savoir, comprendre et agir. Si les proches savent quels sont les changements induits par la démence, ils peuvent mieux évaluer leur situation et agir en amont. La société dans son ensemble devrait aussi en savoir plus sur cette maladie. Les personnes souffrant de démence sont nos semblables. Il est indispensable que l’on sache tous à quoi être attentif lorsqu’on rencontre des personnes atteintes et comment on peut personnellement contribuer à ce que la démence soit acceptée par la société.

La démence compromet les relations humaines  « Il est comme une coquille vide », explique une femme à propos de son partenaire, qui souffre de démence. Le plus douloureux pour les proches n’est souvent pas la perte des facultés intellectuelles, mais l’inaccessibilité émotionnelle de la personne touchée. Cet aspect de la maladie, qui a une incidence certaine sur les relations humaines, a été mis en évidence par Irene Bopp-Kisler, médecin-chef à la clinique universitaire spécialisée en gériatrie aiguë de l’hôpital Waid à Zurich. La personne atteinte de démence est certes visible et manifestement « présente », mais « si distante ». Cette distance peut sérieusement compromettre les rapports humains. Les personnes atteintes et leurs proches en sont profondément meurtris, parce qu’ils ne peuvent plus se « comprendre » mutuellement. Pour éviter que les personnes concernées ne sombrent dans le désespoir, les spécialistes peuvent leur donner des pistes pour vivre dans le respect de l’autre, en dépit de ce sentiment d’étrangeté. Il convient également de préparer avec tact les familles à « faire le deuil » des petites habitudes du passé. Toutefois, les rituels d’adieu peuvent se révéler utiles. Il importe aussi d’aborder avec les proches des thèmes pour lesquels ils ne trouvent souvent pas de mots justes : la honte, la sexualité, la perte d’empathie et la culpabilité. Le fait d’exprimer son vécu, son ressenti et sa pensée peut être une forme appropriée d’« autogestion ». Les professionnels de la santé sont, quant à eux, confrontés à des situations délicates, notamment lorsque les personnes atteintes de démence n’arrivent pas à s’exprimer avec des paroles et qu’elles leur disent : « Pouvez-vous m’aider ? Je ne trouve plus mes mots. »

Donner la parole aux personnes concernées  Comment une société s’y prend-elle avec des personnes particulièrement vulnérables ? Cette question a été abordée par le professeur Hermann Brandenburg, de la Haute école de philosophie et de théologie de Vallendar (Allemagne). Il a souligné le fait que l’opinion publique se focalise souvent exclusivement sur les aspects effrayants et pénibles de la démence. Ne faudrait-il pas « dédiaboliser » la démence ? Cela paraît d’autant plus urgent que les structures de prise en charge répondent souvent plus aux besoins des proches ou des organismes responsables qu’aux demandes et aux souhaits des personnes atteintes de démence. Ces dernières souhaitent pouvoir continuer de prendre part à la vie de la société et de vivre de manière autonome. Il serait également important de prendre mieux en considération les capacités qui leur restent. Par ailleurs, il faut se rendre compte, que la démence, la fragilité et la vieillesse ne sont pas des phénomènes indignes de l’être humain et qu’elles ne constituent pas non plus une réalité de vie « de moindre valeur ». Un tel changement de mentalité pourrait considérablement contribuer à la « dédiabolisation » de la démence dans la conscience collective.

Une vie « à la recherche de moi-même »  « Je me suis, pour ainsi dire, égarée moi-même » : telles furent les paroles prononcées en 1901 par Auguste Deter, la première patiente diagnostiquée Alzheimer, pour décrire comment elle vivait sa maladie. La perte de soi-même est une expérience bouleversante. Les équipes qui suivent les personnes atteintes de démence ont notamment pour mission de veiller à ce que cette perte soit supportable ; le professeur Thomas Beer, de la HES de Saint-Gall, a montré à quel point l’« autogestion » des personnes souffrant de démence est étroitement liée au souhait de se réapproprier sa personnalité et de retrouver son indépendance. Les recherches dans ce domaine indiquent qu’au stade précoce de la maladie, cinq mesures sont essentielles pour renforcer l’« autogestion » de la personne touchée : consolider le réseau familial, maintenir un style de vie actif, soutenir le bien-être psychique, aider à surmonter les changements au niveau cognitif et informer sur la maladie qu’est la démence.

Prendre soin de l’autre, mais aussi de soi-­même  Seule une personne en harmonie avec elle-même peut venir en aide à ceux qui sont constamment « à la recherche d’eux-mêmes ». Toutefois, ceux qui prennent en charge les personnes atteintes de démence devraient pouvoir bénéficier d’un soutien de la part non seulement de l’équipe organisationnelle, mais aussi de l’équipe soignante. Ce point relatif à l’organisation a été abordé par Petra-Alexandra Buhl. Afin d’éviter que le personnel soignant ne se laisse submerger dans son travail, les employeurs doivent eux aussi être impliqués, pour que l’idée de « résilience organisationnelle » se traduise dans les faits. L’organisation assume dès le départ ses responsabilités et forme les collaborateurs à d’éventuelles situations de crise. Une institution résiliente permet aux soignants de s’organiser avec davantage d’autonomie et contribue à accroître de manière ciblée les ressources des équipes.

La technologie au secours des équipes soi­gnantes ?  Les innovations technologiques permettent également de soulager le personnel soignant dans la prise en charge des personnes atteintes de démence. Comme l’a expliqué Heidrun Gattinger, de la HES de Saint-Gall, des moniteurs de mobilité sont capables de mesurer, au moyen d’un capteur placé sous le matelas, les moindres mouvements du patient, et ce sans contrainte corporelle. Si le patient reste dans la même position pendant trois heures, une alarme avertit automatiquement le personnel soignant. Celui-ci peut alors modifier à bon escient la position de la personne et réduire ainsi le risque d’escarres. Afin de prévenir les chutes, le moniteur de mobilité est aussi doté d’un système d’alarme qui se déclenche lorsque la personne s’assied au bord du lit ou en descend. Avant même que les patients susceptibles de tomber ne se lèvent, le personnel soignant peut déjà être présent dans la chambre.

Le moniteur de mobilité est aussi un instrument d’évaluation et permet de planifier les soins en fonction des besoins. Une étude menée dans trois établissements médicosociaux comptant 150 professionnels de la santé pour 52 résidents a montré que le recours au moniteur de mobilité, associé à des formations sur le thème de la démence et à des discussions de cas cliniques, permet de soulager l’équipe soignante à plusieurs égards : la position que souhaite adopter un patient peut être évaluée plus facilement et les soins peuvent être mieux adaptés dans le temps. Grâce aux données enregistrées par le moniteur, l’équipe soignante peut identifier les mouvements et l’activité nocturne des résidents. Ces données servent également de base à l’équipe soignante dans les discussions avec les médecins et les proches. Les discussions de cas – avec ou sans les données du moniteur – diminuent le sentiment d’impuissance des soignants.

Cette innovation technologique est également bénéfique pour les résidents : ceux-ci n’ont plus besoin d’être dérangés ou déplacés inutilement durant la nuit, ce qui leur procure un sommeil de meilleure qualité.

Prix Viventis pour le meilleur projet pratique

Pour la première fois, le centre spécialisé dans la démence de la HES de Saint-Gall et la Fondation Viventis ont attribué un prix de 10 000 francs au meilleur projet pratique consacré aux soins et à l’accompagnement des personnes atteintes de démence en Suisse. Le prix a été décerné à la coopérative GAG (Genossenschaft für Altersbetreuung und Pflege Gäu) à Egerkingen (canton de Soleure), qui regroupe différents établissements médicosociaux. Le centre Stapfenmatt pour personnes âgées a mis en place un projet visant à rendre le quotidien des personnes atteintes de démence aussi normal que possible. Les résidents peuvent ainsi conserver leur mode de vie habituel. Différents groupes de vie ayant été créés (milieu rural, artisanal, domestique ou personnes provenant d’un milieu plus aisé), les personnes atteintes de démence se sentent presque comme à la maison. Le type d’encadrement et les activités de groupe correspondent également au style de vie qui était le leur. Ce projet novateur s’inspire du village De Hogewey, où ne résident que des personnes atteintes de démence. Les premières expériences ont démontré que les résidents du centre Stapfenmatt pour personnes âgées étaient plus apaisés, qu’ils avaient moins besoin de médicaments, qu’ils étaient plus mobiles et que les chutes se faisaient plus rares. Une approche prometteuse qui encourage à trouver des solutions créatives.

Indication

Le quatrième congrès de Saint-Gall sur la démence aura lieu le 16 novembre 2016 à la Halle Olma à Saint-Gall : www.demenzkongress.ch

Docteur ès philosophie, collaboratrice scientifique, unité santé, HES ­Saint-Gall.
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