Façonner ensemble la politique de la pauvreté

Les mesures de prévention et de lutte contre la pauvreté devraient être conçues, mises en œuvre et évaluées en coopération avec les premiers concernés. Or, cette collaboration peut prendre de nombreuses formes. Une nouvelle étude présente quelques exemples de participation et identifie les conditions de leur succès.
Emanuela Chiapparini, Claudia Schuwey, Michelle Beyeler, Caroline Reynaud, Sophie Guerry, Barbara Lucas, Nathalie Blanchet
  |  04 septembre 2020
    Recherche et statistique
  • Pauvreté

La pratique montre qu’associer les personnes touchées par la pauvreté aux décisions et mesures concernant leur vie ou celle de la communauté apporte de nombreux bénéfices, aux organisations et institutions impliquées, à la société, au monde politique et, avant tout, aux personnes elles-mêmes. Davantage solliciter les idées, le savoir, les expériences et les demandes des groupes cibles permet aux collaborateurs des services sociaux et d’autres organisations et institutions de mieux cerner les problèmes et donc d’améliorer l’efficacité des processus et structures. En effet, la collaboration renforce la confiance mutuelle et facilite la communication. Faire appel aux plus vulnérables, qui se trouvent aux portes de la marginalisation, conduit également à l’avènement d’une société plus inclusive, capable de prendre des décisions politiques en connaissance de cause et de prévenir, ou du moins de réduire, la pauvreté et l’exclusion sociale grâce à des mesures plus efficaces. Les personnes impliquées se sentent ainsi respectées et écoutées. C’est également l’occasion pour elles de développer diverses compétences puisqu’elles font l’expérience de l’efficacité personnelle et reprennent confiance en elles. En effet, beaucoup ont perdu foi en leurs propres capacités, et n’ont pas le sentiment d’avoir voix au chapitre et de disposer d’une certaine marge de manœuvre, marge qu’elles peuvent aménager et élargir. Pourtant, mieux utiliser cette dernière contribue à améliorer la situation financière, matérielle, sociale ou sanitaire des personnes touchées par la pauvreté.

DES EXEMPLES VARIÉS Divers pays et contextes livrent des exemples de projets de participation permettant de renforcer l’efficacité personnelle et la marge de manœuvre des personnes touchées, comme le montre une étude (Chiapparini et al. 2020) réalisée sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) :

  • Au Québec (Canada), le Comité consultatif de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale, institué par le gouvernement, réunit des personnes touchées par la pauvreté et des organisations, associations et fédérations actives dans ce domaine. Il est notamment chargé de conseiller le ministre compétent sur la mise en œuvre de la loi visant à lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale et d’émettre des propositions de définition, de mise en œuvre et d’évaluation des stratégies et mesures en la matière (cf. CCLP).
  • En Suisse, une commission externe nommée par le Conseil d’État du canton de Genève a été chargée d’élaborer un projet de refonte de la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (LIASI). Cette commission est composée de représentants des services sociaux cantonaux et des partenaires associatifs, d’experts et de deux bénéficiaires de l’aide sociale (République et Canton de Genève 2019).
  • En 2018, l’association ARTIAS a développé en Suisse romande un programme participatif destiné aux bénéficiaires de longue durée de l’aide sociale. Selon des documents internes, 60 participants réunis en petits groupes ont formulé leurs besoins et émis des propositions visant à améliorer leur suivi. L’objectif principal était d’optimiser les processus de consultation des programmes d’intégration ou d’occupation ; par exemple en coordonnant divers services ou en luttant contre la stigmatisation en encourageant chez les professionnels une perception plus nuancée des expériences vécues par les personnes touchées.
  • Les services sociaux de Bienne et de Bâle ont également organisé plusieurs ateliers et conférences réunissant bénéficiaires et professionnels de l’aide sociale. Les clients ont émis des propositions d’amélioration et les participants ont développé ensemble des solutions communes (Ville de Bienne 2019 ; Burtscher et al. 2017).

MODÈLES PRATIQUES DE PARTICIPATION Comme le montrent les exemples tirés de la pratique cités dans l’étude, en matière de politique de la pauvreté, les modèles de participation sont multiples, en Suisse comme à l’étranger (Chiapparini et al. 2020). Le mandat de recherche de l’OFAS consistait à identifier ces modèles, leurs points communs et la structure des processus de participation. L’équipe de chercheurs a donc étudié et analysé plus d’une centaine de projets participatifs communaux, régionaux, nationaux et internationaux de prévention et de lutte contre la pauvreté. Elle en a ensuite déduit six modèles de participation. Ceux-ci se différencient principalement par leur champ politique ou d’action, c’est-à-dire le domaine auquel participent les personnes touchées par la pauvreté et qu’elles peuvent contribuer à aménager. Les champs d’action suivants ont été identifiés :

  • le développement des structures et processus des prestataires de services, telles que les services sociaux mentionnés plus haut (modèle 1) ;
  • la formation et la formation continue des professionnels, dans le domaine du travail social, par exemple (modèle 2) ;
  • la définition de bases politiques et légales, telles que mentionnées plus haut, qui peuvent inclure une stratégie relative à la pauvreté ou une loi sur l’aide sociale (modèle 3) ;
  • le discours public, qui permet aux personnes menacées ou touchées par la pauvreté d’exprimer leur opinion et de défendre leurs intérêts auprès de la population et du monde politique (modèle 4) ;
  • l’entraide communautaire (modèle 5) ; et enfin
  • l’élaboration de bases individuelles ou programmatiques de participation (modèle 6), qui peuvent jouer un rôle important dans le cadre des processus d’autres modèles.

Outre les champs politique et d’action, les modèles de participation présentent d’autres différences marquantes, dont :

  • leurs acteurs ;
  • la durée de participation ;
  • l’intégration structurelle de la participation ; un service social peut, par exemple, créer des structures permanentes, telles un comité dont les membres se réunissent régulièrement et où les bénéficiaires de l’aide sociale peuvent émettre des propositions. Il peut aussi proposer une participation ponctuelle, en invitant au nom du gouvernement des personnes touchées par la pauvreté à une conférence nationale, par exemple (cf. graphique G1).

Les modèles interagissent à plus d’un titre. Ainsi, il est plus facile pour les autorités de recruter des individus pouvant contribuer à développer certaines mesures lorsqu’il existe des groupements d’intérêts de personnes touchées par la pauvreté. Il peut aussi être utile d’aider ces personnes à renforcer, dans le cadre d’un atelier, les compétences nécessaires à une participation réussie, telles que la communication.

SUCCÈS DE LA PARTICIPATION Le lancement et le succès des processus de participation reposent sur plusieurs facteurs.

Tout d’abord, le contexte. Disposer de conditions politiques et légales favorables facilite la mise en œuvre de projets de participation. La législation de plusieurs pays prévoit, par exemple, que les organisations et institutions des domaines de la santé et des affaires sociales constituent des comités de clients.

Pouvoir s’appuyer sur des organisations et réseaux existants et sur des processus et structures participatifs favorise également le lancement par les responsables de nouveaux projets. L’expérience et les synergies sont ainsi mises à profit et les processus pertinents constamment développés.

L’organisation même des projets joue aussi un rôle décisif dans leur réussite. Les études et les témoignages montrent que les obstacles et défis rencontrés par les responsables de projet se ressemblent souvent. Pour éviter de devoir faire face à des problèmes récurrents, l’étude renvoie aux nombreux exemples de bonnes pratiques et aux recommandations qui en sont issues.

Par exemple, une bonne planification facilite beaucoup la tâche : il faut impliquer autant que possible les personnes touchées, mais aussi communiquer clairement sur les rôles et attributions de chacun, notamment en distinguant les thèmes où les personnes touchées ont une fonction purement consultative de ceux où ils participent à la prise de décision.

Définir des objectifs clairs et atteignables est crucial pour le succès des projets de participation. Il faut également contrôler que ces objectifs sont atteints et identifier le potentiel d’amélioration, le cas échéant par le biais d’une évaluation externe. De cette manière, les responsables peuvent montrer, notamment aux groupes cibles, que leur participation n’est pas un alibi, mais qu’ils prennent les personnes touchées par la pauvreté au sérieux et sont aussi disposés à apprendre de leurs éventuelles erreurs.

Rapport de recherche

Chiapparini, Emanuela ; Schuwey, Claudia ; Beyeler, Michelle ; Reynaud, Caroline ; Guerry, Sophie ; Blanchet, Nathalie ; Lucas, Barbara (2020) : Modèles de participation des personnes menacées ou touchées par la pauvreté à la prévention et la lutte contre la pauvreté ; [Berne : OFAS] : Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche no 7/2020 : www.ofas.admin.ch > Publications & Services > Recherche et évaluation > Rapports de recherche.

L’annexe A3 du rapport contient toutes les informations relatives aux étapes pertinentes de planification et de mise en œuvre des projets de participation.

Il est fondamental de communiquer de façon claire, compréhensible et transparente à chaque étape et d’être prêt à acquérir les éventuelles connaissances techniques nécessaires aux processus de participation.

En général, les projets de participation sont couronnés de succès lorsqu’un maximum d’opinions et d’expériences sont intégrées en amont et que les personnes touchées sont écoutées. Le rapport d’égal à égal est un élément-clé et une condition sine qua non de tout le processus qu’il convient de toujours garder à l’esprit au vu des inégalités structurelles, fréquentes entre les participants.

Les professionnels doivent donc être disposés à réfléchir à leur propre posture et, le cas échéant, à admettre leur contribution aux processus de stigmatisation afin de mieux les prévenir.

Professeure, directrice de l’Institut Enfance, Jeunesse et Famille, Haute école spécialisée bernoise
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MA en sciences sociales, travail social et 
politique sociale, collaboratrice scientifique 
au sein du département de Travail social, 
Haute école spécialisée bernoise.
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Docteur ès sciences sociales, professeure en politique sociale au sein du département de 
Travail social, Haute école spécialisée bernoise, 
et privat-docent en sciences politiques à 
l’Université de Zurich.
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Lic. phil., professeure HES associée, 
Haute école de travail social Fribourg, HES-SO.
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Lic. phil., professeure HES associée, 
Haute école de travail social Fribourg, HES-SO.
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Docteur ès sciences politiques, professeure, 
Haute école de travail social Genève, HES-SO.
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MSc. en sciences politiques, 
collaboratrice scientifique, 
Haute école de travail social Genève, HES-SO.
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