Évaluation du taux d’invalidité dans le système de rentes linéaire

Gisella Mauro, Ralph Leuenberger
  |  10 juin 2022
    Droit et politique
  • Assurance-invalidité

Avec l’adoption du Développement continu de l’AI, le nouveau système de rentes linéaire a été introduit et les principes de l’évaluation du taux d’invalidité ont été inscrits au niveau réglementaire. Les conséquences de ces nouveautés sont étudiées dans le cadre du programme de recherche de l’AI (PR-AI).

En un coup d'oeil

  • Le Développement continu de l’AI a entériné le passage à un système de rentes linéaire, dans lequel chaque point de pourcentage du taux d’invalidité est déterminant pour fixer le montant de la rente ; l’évaluation du taux d’invalidité a donc davantage d’importance.
  • C’est la raison pour laquelle les principes de cette évaluation ont été inscrits au niveau réglementaire en tenant compte de la jurisprudence actuelle et en apportant des améliorations ponctuelles au bénéfice des personnes assurées.
  • Les facteurs de correction appliqués jusqu’alors pour évaluer le taux d’invalidité ont été modifiés ; la mise en parallèle a été conservée et étendue. L’abattement dû à l’atteinte à la santé a été remplacé au profit d’une déduction pour travail à temps partiel ainsi que d’une prise en compte cohérente de toutes les limitations quantitatives et qualitatives dans le cadre de la détermination de la capacité fonctionnelle.

Le système de rentes linéaire

Le passage à un nouveau système de rentes linéaire était l’un des thèmes majeurs du Développement continu de l’AI. Avec ce nouveau système, la quotité de la rente d’invalidité est désormais fixée en pourcentage d’une rente entière, et non plus par paliers de quarts de rente. L’expression des rentes en pourcentage exact fait disparaître les effets de seuil sur le revenu disponible. Cela encourage les bénéficiaires de rente AI à reprendre une activité lucrative ou à augmenter leur taux d’occupation, car toute augmentation du revenu de l’activité lucrative se traduit par une augmentation du revenu global, composé de la rente et du revenu de l’activité lucrative (le travail doit en valoir la peine).

Comme auparavant, le droit à la rente naît à partir d’un taux d’invalidité de 40 %, et une rente entière reste octroyée à partir d’un taux d’invalidité de 70 %. Lorsque le taux d’invalidité est compris entre 50 et 69 %, la quotité de la rente correspond désormais précisément à ce taux. Pour un taux d’invalidité situé entre 40 et 49 %, la rente est échelonnée de 25 à 47,5 %. Le nouvel échelonnement est utilisé non seulement dans l’assurance-invalidité, mais aussi dans la prévoyance professionnelle obligatoire.

Le système de rentes linéaire est appliqué à toutes les nouvelles rentes d’invalidité dont le droit a pris naissance depuis le 1er janvier 2022. Toutes les rentes dont le droit a pris naissance avant le 1er janvier 2022 restent soumises à l’ancien droit.

Dans certains cas, les rentes en cours octroyées en vertu de l’ancien droit sont transférées vers le nouveau système. Ce changement a lieu si, lors d’une révision, le taux d’invalidité subit une modification d’au moins 5 points de pourcentage et qu’il ne s’agit pas d’une exception (let. b, al. 2, dispositions transitoires de la modification du 19 juin 2020 de la LAI : baisse de la rente en cas d’augmentation du taux d’invalidité, ou l’inverse). Par ailleurs, les rentes des personnes assurées ayant déjà atteint l’âge de 55 ans à l’entrée en vigueur de la révision ne sont pas transférées dans le nouveau système (garantie des droits acquis).

Les personnes assurées n’ayant pas encore atteint l’âge de 30 ans à l’entrée en vigueur de la modification de la loi constituent une exception : leurs rentes seront transposées automatiquement dans le système linéaire dans les dix ans, pour autant que cela n’ait pas déjà été fait dans le cadre d’une révision ordinaire. Dans les cas où ce passage automatique entraînerait une diminution du montant de la rente, l’ancien montant continuera d’être versé (garantie du montant de la rente).

Inscription au niveau réglementaire des principes de l’évaluation du taux d’invalidité

Dans le système de rentes linéaire, chaque point de pourcentage du taux d’invalidité est déterminant pour le calcul du montant de la rente. L’évaluation du taux d’invalidité joue donc un rôle décisif. Afin d’accroître autant que possible la sécurité juridique et l’uniformité, la norme de délégation au Conseil fédéral a été précisée dans le cadre du Développement continu de l’AI ; elle habilite le Conseil fédéral à réglementer non seulement la détermination du revenu avec et sans invalidité, mais aussi les facteurs de correction applicables (art. 28a, al. 1, LAI).

Partant du principe que le marché du travail est équilibré (art. 16 LPGA) et tenant largement compte de la jurisprudence récente relative à l’évaluation du taux d’invalidité, le Conseil fédéral a, au niveau réglementaire, élaboré un ensemble de mesures interdépendantes et procédé à des adaptations ponctuelles. L’objectif n’était pas d’étendre ou de réduire les prestations, mais de clarifier et d’optimiser au bénéfice des personnes assurées les bases servant à l’évaluation du taux d’invalidité (voir art. 24septies à 27bis et 49, al. 1bis, RAI).

Détermination du statut et méthode d’évaluation du taux d’invalidité

Pour évaluer le taux d’invalidité, il faut avant tout connaître le statut de la personne assurée, et ainsi déterminer si elle exercerait, dans l’hypothèse où elle ne serait pas atteinte dans sa santé, une activité lucrative à temps plein, à temps partiel ou pas d’activité lucrative. Dans le cas d’un hypothétique temps plein, le taux d’invalidité est déterminé par comparaison des revenus ; il s’agit de loin du cas le plus fréquent.

Si la conclusion est que la personne assurée n’exercerait pas d’activité lucrative, le taux d’invalidité est évalué en comparant les travaux habituels (ménage). Ce cas de figure est rare.

En cas de supposé temps partiel, on a recours à la méthode mixte, c’est-à-dire que l’on combine comparaison des revenus (pour la part concernant l’activité lucrative) et comparaison des tâches (pour la part concernant les travaux habituels). On part désormais du principe que la partie qui ne relève pas de l’activité lucrative à temps partiel est toujours dédiée à des travaux habituels (ménage) complémentaires. En cas de temps partiel supposé, c’est donc systématiquement la méthode mixte qui est utilisée. Le scénario d’un temps partiel sans travaux habituels constituait un cas particulier institué par le Tribunal fédéral dans certains de ses arrêts ; il n’est de fait plus admis. Il s’agit là d’une amélioration pour les personnes assurées concernées, puisqu’elles ne seraient sans cela pas assurées à l’AI pour toute la partie qui ne relève pas de l’activité lucrative.

Revenu effectif et valeurs statistiques dans la comparaison des revenus

Le revenu effectivement réalisé reste autant que possible la référence pour déterminer les revenus avec et sans invalidité. Ainsi, le revenu sans invalidité est par principe toujours basé sur le revenu touché avant la survenance de l’invalidité. De même, le revenu avec invalidité est déterminé en fonction du revenu effectivement réalisé, le cas échéant ; il n’est désormais plus demandé si une partie de ce revenu est un salaire social. Le seul élément déterminant est le fait que la personne assurée puisse exploiter au mieux sa capacité fonctionnelle restante avec le revenu qu’elle touche.

La jurisprudence du Tribunal fédéral selon laquelle l’utilisation des valeurs statistiques n’a qu’un rôle subsidiaire (voir arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9.3.2022, publication prévue) est ainsi respectée. En même temps, on garantit ainsi, dans la mesure du possible, le fait de comparer ce qui est comparable. D’après une étude (Egger, Dreher & Partner AG, Ökonomische Überprüfung ausgewählter Aspekte der Bestimmung des IV-Grades, 2003), comparer deux revenus effectifs ou deux revenus statistiques ne pose pas de problème sur le principe puisque la base de comparaison est alors identique. Par contre, en comparant un revenu effectif et un revenu statistique, la différence de base peut entraîner des distorsions. Dans ce cas, il faut alors appliquer des facteurs de correction propres à chaque situation, au niveau du revenu avec invalidité ou de celui sans invalidité.

Faute de revenu effectif, ou s’il est impossible de le prendre pour référence, on a recours aux valeurs statistiques de l’enquête sur la structure des salaires (ESS) de l’Office fédéral de la statistique, et plus précisément au tableau . Les valeurs à utiliser doivent en effet faire apparaître les différences entre les sexes, mais pas l’âge.

Lors de la détermination du revenu sans invalidité en particulier, la formation professionnelle de la personne assurée et les situations professionnelles équivalentes servent par principe de référence. Les valeurs du tableau doivent en outre toujours être adaptées au temps de travail usuel dans la branche et éventuellement indexées sur l’évolution des salaires nominaux.

Un autre changement concerne les invalides précoces ou de naissance, soit les personnes qui, en raison d’une atteinte à leur santé, ne peuvent pas suivre de formation professionnelle, c’est-à-dire qui n’ont pas l’opportunité d’en suivre une au sens de la loi fédérale sur la formation professionnelle ou d’obtenir un diplôme d’une école de culture générale. Pour ces personnes, le revenu sans invalidité est fixé à partir de valeurs statistiques, la valeur totale indépendante du sexe étant tirée de toutes les branches économiques et de tous les niveaux de compétences du tableau TA1_tirage_skill_level. Cette nouvelle règle remplace la réduction du revenu sans invalidité appliquée en fonction de la tranche d’âge, ce qui représente une amélioration pour les personnes assurées de moins de 30 ans.

Facteurs de correction

Mise en parallèle : un premier facteur de correction intervient au niveau du revenu sans invalidité. Une mise en parallèle est effectuée lorsque le revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé avant la survenance de l’invalidité est inférieur de 5 % ou plus à la valeur centrale usuelle dans la branche selon l’ESS. Le revenu sans invalidité est alors relevé à 95 % de la valeur centrale usuelle dans la branche selon l’ESS. La différence restante (5 %) reflète la pratique actuelle du Tribunal fédéral concernant la mise en parallèle (ATF 135 V 297, consid. 6.1.3).

La mise en parallèle permet de compenser les facteurs (principalement économiques) ayant eu un impact négatif sur le revenu avant même la survenance de l’invalidité. Il peut s’agir d’un niveau salarial bas dans la région, du statut de séjour (y c. frontalier), de la nationalité, mais aussi de facteurs personnels comme le manque de connaissances linguistiques, l’absence de formation ou l’âge.

Par rapport à la pratique qui avait cours jusque-là, la mise en parallèle a été aménagée au niveau réglementaire de façon à bénéficier aux personnes assurées. Elle est désormais automatique dès que le revenu est inférieur de plus de 5 % à la moyenne. Les raisons de cette différence et le fait que la personne assurée ait choisi librement de se contenter d’un revenu plus modeste ne jouent plus aucun rôle à ce niveau. Les revenus sont également mis en parallèle lorsqu’ils correspondent au salaire minimal fixé dans une convention collective ou un contrat-type et que ce salaire est inférieur d’au moins 5 % à la moyenne.

Détermination de la capacité fonctionnelle (abattement dû à l’atteinte à la santé) : l’abattement dû à l’atteinte à la santé appliqué jusque-là au revenu avec invalidité incluait tant les facteurs économiques que ceux provoqués par l’atteinte à la santé. Cependant, dans la pratique, cet abattement était régulièrement critiqué pour son manque de clarté et d’uniformité, et était souvent source de désaccords. C’est pourquoi le Conseil fédéral a décidé d’adopter une solution plus explicite visant à réduire les litiges.

Les facteurs économiques sont désormais corrigés grâce à une mise en parallèle plus fréquente et à une nouvelle déduction pour travail à temps partiel.

Par ailleurs, les limitations dues à l’atteinte à la santé au sens strict, c’est-à-dire toute limitation quantitative ou qualitative due à l’invalidité dans l’exercice d’une activité lucrative (par ex. besoin de davantage de pauses, limites d’effort, ralentissement par rapport à une personne en bonne santé), doivent désormais être systématiquement prises en compte lors de la détermination de la capacité fonctionnelle. En conséquence, la capacité fonctionnelle évaluée devrait souvent être plus faible qu’auparavant. Cette solution est plus avantageuse pour les personnes assurées, car l’abattement appliqué jusqu’alors était limité à 25 %.

Déduction pour travail à temps partiel : il s’agit d’un autre facteur de correction, appliqué cette fois au revenu avec invalidité. Il intervient lorsque la capacité fonctionnelle de la personne assurée ne dépasse pas 50 % d’un temps plein. La déduction au titre du travail à temps partiel correspond à un taux forfaitaire de 10 %.

Cette déduction représente également une amélioration par rapport à la pratique antérieure puisqu’elle est appliquée indépendamment du taux d’occupation effectif, tandis que l’abattement dû à l’atteinte à la santé n’était pas appliqué lorsque la personne assurée pouvait être présente toute la journée, mais ne fournir qu’une prestation réduite (cf. arrêt du Tribunal fédéral 8C_211/2018 du 8.5.2018, consid. 4.4).

Perspectives

Dans l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_256/2021 du 9 mars 2022 (publication prévue), il est question des critiques formulées à l’encontre de l’évaluation du taux d’invalidité, et plus particulièrement de l’utilisation des barèmes de l’ESS. Se référant à la jurisprudence actuelle, le Tribunal fédéral constate que les valeurs centrales de l’ESS utilisées jusqu’à présent en tant que valeurs initiales servant à définir le revenu déterminant de l’activité lucrative sont appropriées pour tenir compte de la notion de marché du travail équilibré inscrite dans la loi. Il conclut par ailleurs que les instruments de correction utilisés jusque-là sont adaptés pour tenir compte des limitations liées au handicap en l’espèce. Cet arrêt ayant été rendu en vertu de l’ancien droit, il ne dit rien des modifications du règlement sur l’assurance-invalidité entrées en vigueur au 1er janvier 2022, mais n’exclut pas pour autant une évolution de la jurisprudence.

Les conséquences des nouveautés concernant l’évaluation du taux d’invalidité sont évaluées dans le cadre du PR-AI. Des analyses approfondies relatives à une modification éventuelle des barèmes de l’ESS seront également réalisées en tenant compte du cadre légal, des répercussions financières et des conséquences pour les autres assurances sociales.

Licenciée en droit, juriste secteur Procédures et rentes, domaine Assurance-invalidité, OFAS.
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Licencié en droit, juriste secteur Procédures et rentes, domaine Assurance-invalidité, OFAS
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