Evaluation de la réadaptation dans ­l’assurance-invalidité

Un tri rapide et sans tracasseries administratives semble avoir un effet positif sur le succès de la réadaptation et permettre d’éviter l’octroi de rentes. S’il est recommandé d’y recourir largement pour les mesures d’intervention précoce, il semble qu’on ne puisse pas en dire autant pour les mesures d’ordre professionnel.
Jürg Guggisberg
  |  04 mars 2016
    Recherche et statistique
  • Assurance-invalidité
  • Réadaptation

Selon le message du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, la 5e révision de l’assurance-invalidité (AI), entrée en vigueur en 2008, poursuivait deux objectifs principaux. Il s’agissait premièrement de renforcer l’orientation de l’AI vers la réadaptation et, ­deuxièmement, de diminuer le nombre de nouvelles rentes afin de réduire les dépenses de l’assurance et de contribuer ainsi largement à assainir ses finances. Une phase d’intervention précoce a été instaurée, afin que l’AI puisse entretenir des contacts précoces avec les personnes dont la capacité de travail est menacée et leur fournir un soutien rapide sans tracasseries administratives au moyen de mesures appropriées. Entrée en vigueur en 2012, la révision 6 a mis à la disposition de l’AI une série de nouveaux instruments qui lui permettent de favoriser encore plus la réinsertion professionnelle des personnes handicapées. L’assurance accompagne activement les nouveaux bénéficiaires de rente afin de mieux exploiter leur éventuel potentiel de réadaptation et de les préparer à un retour complet ou partiel à la vie active. Mais elle cherche aussi et surtout à aider les personnes qui touchent une rente AI depuis un certain temps à se réinsérer dans le monde du travail.

Objectifs et méthode  Le mandat d’évaluation dont les résultats sont présentés ici était divisé en deux volets. L’évaluation de la 5e révision s’est appuyée en grande partie sur des analyses statistiques pour tirer des conclusions sur les résultats de la révision. Ces analyses sont basées sur les données du registre de l’assurance : l’échantillon retenu est composé de toutes les personnes qui ont déposé une première demande à l’AI entre 2004 et 2011. On a ainsi disposé de quatre cohortes avant l’entrée en vigueur de la 5e révision et de quatre cohortes après son entrée en vigueur, ce qui a permis d’identifier et d’exposer les changements qui se sont produits au niveau du nombre, du type et du coût des mesures axées sur la réadaptation. Par ailleurs, des comparaisons statistiques entre offices AI ont permis de relever les facteurs de succès pour la réalisation des objectifs de la 5e révision. Les données du registre AI ont été appariées à celles du registre du revenu assuré afin d’examiner dans quelle mesure les efforts de réadaptation déployés par l’AI ont débouché sur l’insertion effective des assurés sur le marché primaire du travail. Ici aussi, des analyses comparatives ont été menées entre les offices AI afin d’identifier les stratégies prometteuses.

Plus de demandes de personnes qui exercent encore une activité lucrative.

La deuxième partie de l’évaluation, consacrée à la révision 6, a porté uniquement sur la révision des rentes, et en particulier sur sa mise en œuvre dans les offices AI. Les chercheurs se sont intéressés à la manière dont les offices AI procèdent concrètement à la révision des rentes axée sur la réadaptation et au réexamen des rentes en vertu des dispositions finales 1 , et ont relevé les approches fructueuses ainsi que les principales difficultés rencontrées. A cette fin, ils ont mené deux entretiens de groupe dans chaque office AI, dans la langue de l’office : le premier avec la direction de l’office ou avec des cadres des services réadaptation, rentes et droit ainsi qu’avec des représentants des SMR, et le second avec des collaborateurs (de un à quatre) qui s’occupent concrètement des cas de révision.

Application et effet des mesures de la 5e révision  Les principaux résultats et conclusions sont synthétisés ci-après, selon les différentes phases d’examens et de mesures.

Soutien rapide et sans tracasseries administratives durant l’intervention précoce  Grâce à la phase de détection et d’intervention précoces instaurée dans le cadre de la 5e révision de l’AI, les personnes dont la capacité de travail est restreinte pour des raisons de santé peuvent entrer en contact plus tôt avec l’assurance. Premièrement, cela s’est traduit par une augmentation spectaculaire du nombre de premières demandes déposées par des assurés de moins de 55 ans à partir de 2008, pour un taux global de premières demandes quasiment constant. Deuxièmement, l’âge moyen au moment du dépôt de la demande a baissé d’un an et demi, passant de 48 ans en 2007 à 46,5 ans, et, troisièmement, l’AI reçoit de plus en plus de demandes de personnes qui exercent encore une activité lucrative. L’augmentation est particulièrement marquée chez les 30 à 50 ans. Par ailleurs, le nombre de demandes émanant de personnes exerçant toujours une activité lucrative a continué d’augmenter ces dernières années : le transfert se poursuit donc. Depuis leur introduction en 2008, le recours à des mesures d’intervention précoce fournies en externe a pratiquement doublé, passant de 6 à 11 %. S’agissant de la rapidité de mise en œuvre des mesures d’intervention précoce, on constate que les mesures externes sont pour la plupart octroyées rapidement. Plus de deux tiers d’entre elles sont en effet fournies dans les six mois qui suivent le dépôt d’une demande. Il apparaît en outre que les offices AI ont fait des efforts pour s’améliorer encore à cet égard : les mesures sont globalement octroyées un peu plus vite qu’auparavant et les différences entre les cantons se sont nettement atténuées. Cela dit, les différences demeurent considérables, et il reste donc une marge d’amélioration.

Dans quelle mesure les offices AI parviennent-ils à maintenir les assurés sur le marché primaire du travail ou à les y réinsérer ? Un peu plus de deux assurés sur trois qui exerçaient encore une activité lucrative au moment du dépôt de la demande et ont bénéficié de mesures d’intervention précoce externes réalisaient toujours un revenu professionnel trois ans plus tard. Pour ceux qui n’exerçaient plus d’activité lucrative, les chances de réinsertion après des mesures d’intervention précoce sont nettement plus faibles (50 %). Il est impossible d’évaluer la contribution effective des offices AI au succès de la réadaptation, car rien ne permet de dire quelle aurait été la situation en l’absence de mesures d’intervention précoce. Cependant, la comparaison entre offices AI a permis d’identifier les facteurs de succès.

Les offices AI qui, pour la première décision de tri, s’appuient majoritairement sur les informations fournies oralement concernant la situation professionnelle et médicale et qui, en moyenne, consacrent un peu plus de moyens par assuré pour des mesures d’intervention précoce externes, réussissent davantage que les autres à maintenir les assurés en emploi ou à les réinsérer sur le marché du travail, même compte tenu du taux de chômage. Par conséquent, un premier tri rapide et sans tracasseries administratives et l’affectation d’un peu plus de moyens à la réalisation de mesures d’intervention précoce semblent constituer des conditions favorables.

Mesures de réinsertion  Les mesures de réinsertion visent à développer et maintenir de manière active l’aptitude à la réadaptation des assurés et à créer, lorsque cela s’avère nécessaire, les conditions permettant la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel plus poussées. Ces mesures viennent ainsi compléter le catalogue des mesures en vigueur avant la 5e révision en se focalisant sur les assurés atteints dans leur santé psychique. Elles visent ainsi l’insertion ou la réinsertion sur le marché du travail d’assurés pour lesquels il n’existait pas de mesure de réadaptation appropriée avant la 5e révision, le but étant de réduire le nombre de nouvelles rentes.

L’assurance octroie relativement peu de mesures de réinsertion, mais la proportion d’assurés qui en bénéficient est passée de 2,8 à 3,6 % sur l’ensemble de la période considérée. L’augmentation est donc plutôt modérée par rapport à celle des assurés ayant bénéficié de mesures d’intervention précoce, dont la proportion a presque doublé entre 2008 et 2011. La part des personnes souffrant de troubles psychiques parmi les bénéficiaires de mesures de réinsertion est passée de 68 % (cohorte 2008) à 75 % (cohorte 2011). Sur 10 000 personnes, deux assurés de la cohorte 2008 et trois de la cohorte 2011 ont bénéficié de telles mesures. Les différences entre les cantons sont relativement importantes à cet égard, même si elles se sont légèrement estompées avec le temps. La moitié environ des mesures de réinsertion sont octroyées au cours des douze mois qui suivent le dépôt d’une demande de prestations. Les offices AI qui, en 2008, étaient un peu moins rapides que les autres dans l’octroi de ce type de mesures ont légèrement accéléré la cadence les années suivantes. Les différences en termes de rapidité restaient cependant considérables pour la cohorte 2011 : une marge d’amélioration est donc toujours bien présente. Les offices AI qui octroient comparativement un peu plus de mesures de réinsertion sont aussi un peu plus rapides. En moyenne, 15 000 francs par personne ont été consacrés aux mesures de réinsertion, depuis leur introduction en 2008, pour tous les assurés qui ont bénéficié d’une telle mesure dans les trois ans qui ont suivi le dépôt d’une première demande à l’AI. Les dépenses effectives sont donc légèrement inférieures aux estimations faites dans le message concernant la 5e révision.

Les données disponibles ne permettent pas de déterminer précisément l’impact des mesures de réinsertion sur l’insertion professionnelle. On le sait, les bénéficiaires de mesures de réinsertion sont des personnes plutôt difficiles à placer : un peu moins de la moitié « seulement » (45 %) exerçaient une activité lucrative trois ans après le dépôt de leur demande, soit nettement moins que parmi les bénéficiaires d’une mesure d’intervention précoce. Cela dit, un constat est encourageant : dans les offices AI qui octroient des mesures de réinsertion un peu plus fréquemment et un peu plus rapidement que les autres, l’insertion professionnelle des bénéficiaires est légèrement meilleure.

Mesures d’ordre professionnel  La 5e révision n’a guère apporté d’innovations dans le domaine des mesures d’ordre professionnel, qui comprennent notamment l’orientation professionnelle, la formation et le perfectionnement professionnels, le reclassement, l’aide en capital et le placement, et qui sont nettement plus coûteuses que les mesures d’intervention précoce. La 5e révision n’a donc pas amené de grands changements à ce niveau. L’évolution des différences entre cantons se révèle en revanche instructive. En ce qui concerne la quantité de mesures d’ordre professionnel octroyées, les différences se sont nettement amenuisées : les cantons qui, en 2008, octroyaient proportionnellement peu de mesures en ont octroyé nettement plus, tandis que l’évolution inverse a été observée dans ceux qui, à l’origine, octroyaient plus de mesures de réinsertion que la moyenne. Les différences cantonales en matière de rapidité et de dépenses par assuré n’ont quant à elles guère diminué.

Les analyses réalisées permettent de tirer les conclusions suivantes :

  • Plus les mesures d’ordre professionnel sont mises en œuvre rapidement, plus l’insertion ou la réinsertion professionnelle a des chances d’aboutir. Dans les offices AI relativement rapides, le taux d’insertion professionnelle des bénéficiaires est significativement plus élevé (Pearsons r α < 5 %).
  • La probabilité qu’un bénéficiaire d’une mesure d’ordre professionnel touche ultérieurement une rente est moins élevée dans les offices AI qui sont plus rapides dans l’octroi de telles mesures et qui consacrent davantage de moyens par cas. Parallèlement, dans les offices AI qui octroient davantage de mesures d’ordre professionnel, la probabilité qu’une rente soit tout de même octroyée après l’exécution de la mesure est plus élevée.

On constate donc que les chances d’éviter une rente et de réinsérer la personne sur le marché du travail sont meilleures lorsque des moyens financiers suffisants sont mis à disposition pour les mesures d’ordre professionnel. Par ailleurs, le succès est davantage au rendez-vous lorsque les mesures d’ordre professionnel sont exécutées au plus vite, mais qu’elles ne sont pas octroyées de manière trop fréquente (et plutôt de manière sélective). En termes d’organisation, les offices AI qui opèrent un premier tri sur la base d’indications fournies oralement concernant la situation professionnelle et médicale enregistrent dans l’ensemble des résultats légèrement meilleurs.

Révision 6 LAI : révision des rentes axée sur la réadaptation  Depuis l’entrée en vigueur de la révision 6, toutes les révisions de rente mettent en principe l’accent sur la réadaptation. En pratique, le processus de révision dépend du contexte : une révision peut être liée à l’état de fait ou à la procédure d’instruction, ou elle peut être déclenchée en raison de la présence d’un potentiel. Les offices AI qualifient très souvent les premières de révisions de rente « classiques », car ce type de révision existait déjà avant la révision 6. Les révisions menées suite à l’identification d’un potentiel sont quant à elles qualifiées de révisions de rente « axées sur la réadaptation », car elles répondent au nouveau mandat de rechercher un potentiel de réadaptation même lorsque ni l’état de fait ni le droit à la rente n’a changé.

Globalement, les deux types de révision des rentes mis en place par la révision 6 se caractérisent par une énorme charge de travail pour un résultat plutôt modeste. Il n’existe toutefois pas de chiffres fiables à ce propos, pour différentes raisons. Les données supplémentaires fournies aux chercheurs par certains offices AI dans le cadre du mandat d’évaluation indiquent cependant que les objectifs chiffrés du message ne pourront pas être atteints à l’avenir non plus, pour des motifs compréhensibles.

La voie de la réadaptation est la bonne.

Malgré la grande charge de travail et les résultats plutôt maigres, la plupart des offices AI estiment que l’orientation vers la réadaptation est une approche judicieuse et bonne. Elle a tout d’abord permis aux offices AI de voir sous un autre jour le domaine des rentes. La réadaptation a encore gagné en importance, en particulier pour les nouvelles rentes: cette évolution a contribué à répandre, tant chez les collaborateurs des offices AI que chez les personnes concernées, l’idée que l’octroi d’une rente d’invalidité n’est pas un processus irréversible (contrairement à l’adage « rente un jour, rente toujours »). Ensuite, la recherche du potentiel de ré­adaptation a renforcé la collaboration interdisciplinaire, améliorant du même coup le savoir-faire des collaborateurs en matière de cas présentant des problématiques multiples. Les connaissances acquises peuvent désormais être appliquées au domaine des nouvelles rentes. Par ailleurs, l’évaluation a montré que les recettes et moyens simples tels que des listes de contrôle pour l’identification d’un potentiel de réadaptation ne suffisent pas et que les collaborateurs doivent développer une certaine sensibilité pour la thématique de la ré­adaptation : l’analyse d’anciens cas de rente dans le contexte de la révision des rentes axée sur la réadaptation leur en a fourni l’occasion. Un autre aspect positif réside dans le vaste examen de la question (médico-assurantielle) des situations donnant droit à une rente : cette discussion ouverte et transparente a fait avancer l’AI dans son ensemble.

Par contre, au niveau des cas individuels, les dispositions finales en particulier ont engendré beaucoup de frustration. Il faut par ailleurs prendre au sérieux le constat, fait par plusieurs offices AI, que les dispositions finales ont plutôt nui à la réputation de l’assurance, car elles ont engendré des réactions négatives non seulement chez les personnes concernées, mais aussi au sein du corps médical. En l’occurrence, l’approche basée sur le bon sens adoptée par plusieurs offices AI – c’est-à-dire le réexamen de chaque cas d’espèce en tenant compte du contexte personnel et individuel – est certainement la bonne. Le souhait de privilégier la qualité plutôt que la quantité semble ici tout à fait judicieux.

La recherche du potentiel de réadaption a renforcé la collaboration interdisciplinaire.

Parallèlement, le fait que le réexamen systématique de l’effectif des rentes depuis 2010 n’a mis au jour que très peu de cas présentant effectivement un potentiel de réadaptation supplémentaire est le signe que l’assurance-invalidité n’avait que rarement, au cours des années précédentes, octroyé de rentes dans des cas qui ne se justifiaient pas ou pas suffisamment sur le plan médical.

Un des grands défis à venir sera de trouver des solutions aux problèmes fondamentaux rencontrés avec l’approche de la révision des rentes axée sur la réadaptation. Il faut d’un côté déterminer comment détecter de manière fiable un potentiel de réadaptation prometteur lorsque l’état de fait reste inchangé. D’un autre côté, les craintes des assurés de perdre en sécurité après la suppression de leur rente sont réelles et souvent fondées. Pour que ces incertitudes n’empêchent pas les personnes concernées de voir le côté positif d’une révision de rente, les offices AI estiment que l’implication de l’assurance-invalidité ne suffit pas : l’engagement des médecins traitants est essentiel, tout comme celui des employeurs, qui contribuent de manière déterminante au succès de la réadaptation en proposant des postes de travail appropriés.

  • Bibliographie
  • Guggisberg, Jürg ; Bischof, Severin ; Jäggi, Jolanda ; Stocker, Désirée (2015) : Evaluation de la réadaptation et de la révision des rentes axée sur la réadaptation dans l’assurance-invalidité ; [Berne : OFAS]. Aspects de la sécurité sociale, rapport de recherche n° 18/15 : www.ofas.admin.ch > Pratique > Recherche > Rapports de recherche.
  • 1. Les rentes octroyées « en raison d’un syndrome sans pathogenèse ni étiologie claires et sans constat de déficit organique » sont réexaminées par l’AI dans un délai de trois ans (2012-2014) en vertu des dispositions finales de la révision 6 de l’AI.
Sociologue et économiste, membre de la direction et responsable du secteur Marché du tra-vail, situation de l’emploi, Bureau d’études de politique du travail et de politique sociale (BASS)
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