De la CII à un projet global d’intégration professionnelle

Le canton de Neuchâtel connaît un fort taux de chômage et d’aide sociale, en ­comparaison suisse. Pour inverser la tendance, il a élaboré une nouvelle stratégie d’intégration professionnelle qui ­s’appuie sur une logique interinstitutionnelle. Sa mise en œuvre bat son plein.
Silvia Locatelli, Laurent Duding
  |  01 septembre 2017
  • Collaboration interinstitutionnelle (CII)

Suite aux impulsions fédérales notamment du SECO et aux recommandations de différentes conférences thématiques (CDAS et CDEP 1) de 2001, le canton de Neuchâtel a depuis 15 ans déjà fait de la collaboration interinstitutionnelle (CII) une priorité. Concrètement, depuis 2002, les chefs des départements de tutelle (économie publique et affaires sociales selon l’organisation de l’époque) ont mandaté un groupe de pilotage stratégique afin de concrétiser les priorités suivantes :

  • Coordonner les programmes d’insertion sociale et professionnelle.
  • Recenser et analyser l’ensemble des mesures d’insertion existantes.
  • Collaborer avec les entreprises et les communes. A Neuchâtel, la législation cantonale en matière d’aide sociale est appliquée par huit services sociaux régionaux de compétence communale.

Au fil du temps, les axes suivants sont venus compléter le mandat donné :

  • Concrétiser le case management de la formation professionnelle (coaching en formation professionnelle avec la mise en place dès 2011 d’un office compétent en la matière, l’office de l’insertion des jeunes en formation professionnelle, OFIJ).
  • Mettre en place le processus permettant une prise en charge systématique et coordonnée des usagers dont la situation le nécessite.
  • Créer des entreprises sociales.

Dès son origine, cette démarche visait à intensifier la collaboration entre les secteurs de l’emploi (LACI), de l’assurance-invalidité (LAI), de l’action sociale (aide sociale) et de la migration. Dès 2006, le secteur de la formation professionnelle a rejoint le Groupe de pilotage CII (GP CII) en bonne cohérence avec les objectifs visés et les options prises au niveau national.

La structure CII neuchâteloise actuelle, qui se veut souple et légère, peut être schématisée comme suit (voir graphique G1). Le pilotage politique est assuré depuis 2013 par les départements de l’économie et de l’action sociale (DEAS) et de l’éducation et de la famille (DEF).

Dans ce cadre, différents projets ont été menés et évalués sous l’angle de l’intensification de la collaboration entre les secteurs impliqués dans la CII. Cette opération de décloisonnement, mené sous mandat du Conseil d’Etat en fonction de priorités fixées au début de chaque législature politique, n’a pas eu d’impact significatif sur l’organisation à proprement parler des secteurs concernés jusqu’à récemment. 2013 marque en effet l’entrée dans une nouvelle ère avec la refonte de la stratégie d’appui aux demandeurs d’emploi comme priorité du gouvernement neuchâtelois.

Contexte neuchâtelois et nouvelle dynamique politique et institutionnelle Afin de bien comprendre la logique qui sous-tend la transition progressive de la collaboration interinstitutionnelle vers la nécessité d’une refonte de la stratégie d’intégration professionnelle, il paraît important de replacer cette dernière dans le contexte spécifique du canton de Neuchâtel, une région exposée de manière particulièrement rapide et violente aux variations conjoncturelles en raison de son profil fortement orienté sur l’industrie d’exportation.

Alors que le canton de Neuchâtel a un taux de chômage, depuis les années 1990, déjà habituellement plus élevé que la moyenne nationale, la crise de 2008 a encore compliqué la situation. L’écart entre les taux de chômage suisse et neuchâtelois s’est ainsi considérablement aggravé passant de + 1 % à une fourchette oscillant de + 2 à + 2,5 %.

Malgré la reprise économique qui a suivi et la baisse du taux de chômage, et alors que le canton de Neuchâtel s’est montré l’un des plus dynamiques du pays en matière de création d’emplois, cet écart n’a, depuis lors, pas pu être complètement résorbé.

Parallèlement, la balance de pendularité de l’emploi du canton a fortement évolué. Tandis que le nombre de « pendulaires entrants » (il s’agit des personnes habitant hors canton qui viennent travailler à Neuchâtel) a augmenté de 115 % en 12 ans pour se fixer à 20 500 personnes en 2012, celui des « pendulaires sortants » (les Neuchâtelois qui travaillent hors canton) s’est accru de seulement 62 %, soit 9500 personnes pour 2012. L’évolution de ces chiffres – avec une balance cantonale déficitaire de près de 11 000 pendulaires pour l’année considérée – montre clairement un canton de plus en plus attractif dans certains secteurs d’activité, y compris ceux dans lesquels un taux de chômage élevé est enregistré.

Cette situation de fort dynamisme de l’emploi et d’attractivité d’une part, et d’augmentation des demandeurs d’emploi d’autre part, a des impacts importants pour le canton de Neuchâtel. Et ce tant sous l’angle social pour les personnes concernées que sous l’angle économique et financier aussi bien pour les demandeurs d’emploi que pour l’ensemble de la collectivité. Ce phénomène nouveau a été identifié sous le terme de « paradoxe neuchâtelois » 2.

Confronté à ce paradoxe, le Conseil d’Etat élu au printemps 2013 a souhaité placer la problématique de la circulation des richesses et du développement économique au centre de ses préoccupations 3. Avant même son entrée en fonction, il a décidé de regrouper les politiques de l’économie, de l’emploi et de l’action sociale au sein du même département, le Département de l’économie et de l’action sociale (DEAS).

Il a ensuite ancré sa volonté dans le cadre du programme de législature, en affirmant sa détermination à sortir des tendances lourdes qui impactent le canton, et à s’attaquer à la racine du problème en agissant sur la réduction non pas des « outils » d’aide et d’appui, mais bien des besoins d’assistance de la population neuchâteloise. Pour ce faire, il a construit un plan d’action comprenant les cinq axes suivants :

  • La reconnaissance du travail.
  • La prévention de la pauvreté et de l’exclusion professionnelle.
  • La refonte de la stratégie d’intégration professionnelle.
  • La maîtrise de la facture sociale.
  • La lutte contre les abus.

Parmi ces cinq axes, la refonte de la stratégie d’intégration professionnelle a pour objectif de mettre en place une politique d’accompagnement des demandeurs d’emploi globale, cohérente, efficace et connectée avec le monde de l’emploi. Cet axe trouve son ancrage direct dans l’analyse préalable qui a permis d’identifier certains facteurs comme étant à l’origine du paradoxe évoqué ci-avant, notamment celui de l’absence d’une véritable politique d’intégration professionnelle intégrée et cohérente. Il est ainsi apparu comme nécessaire de revoir en profondeur le dispositif et les structures étatiques qui suivent les demandeurs d’emploi dans le but d’inverser les tendances décrites ci-dessus et de « mettre à mal » le paradoxe neuchâtelois. Concrètement il s’agit de dépasser la logique transversale des nombreux projets prometteurs menés dans le cadre de la CII par une refonte d’ensemble du dispositif d’appui aux demandeurs d’emploi.

Politique d’intégration professionnelle : carences collaboratives et territoires ­institutionnels Les analyses menées en 2013 ont rapidement permis de constater que les stratégies et politiques d’insertion et d’intégration professionnelle étaient institutionnellement encore trop cloisonnées, ce qui rendait les synergies, les interactions et, plus important, le suivi même des demandeurs d’emploi particulièrement compliqués. Avec trop souvent des dossiers renvoyés d’un secteur à l’autre sans véritable coordination.

Suite à la crise de 2008 déjà, il était devenu nécessaire de mobiliser l’ensemble des énergies et des compétences du dispositif pour faire face aux défis de la concurrence à l’embauche et de l’évolution rapide des besoins du marché du travail. Cependant, le contexte d’alors (finances publiques déficitaires et succession de directions politiques mais aussi opérationnelles notamment au service de l’emploi) a contribué à rendre difficile la mise en place d’une telle dynamique.

Ainsi, si le service de l’emploi a bien dû réorganiser son activité afin de faire face aux exigences émises par le SECO à la suite de résultats jugés insatisfaisants du suivi des demandeurs d’emploi indemnisés par l’assurance-chômage (AC), cette action est restée focalisée sur le public du service de l’emploi. La coordination avec les autres services du dispositif (action sociale, migration, invalidité, formation professionnelle) n’a ainsi pas été améliorée autant que souhaité.

Cette situation cloisonnée a impacté le taux de retour à l’emploi des nombreux chômeurs arrivés durant cette période, provoquant par effet de cascade une hausse rapide du nombre de bénéficiaires de l’aide sociale. Un report encore accéléré par les restrictions décidées dans le cadre des législations fédérales (la 4e révision de la LACI mais aussi les dernières révisions de la LAI).

Durant cette période, conscients de l’obstacle majeur que constituait ce manque de coordination, les acteurs de l’insertion ont souhaité apporter des solutions par le biais de la collaboration interinstitutionnelle. Le travail dans ce cadre peut être considéré comme exemplaire au vu du contexte décrit ci-dessus. En effet la CII est parvenue notamment à instaurer et à maintenir un dialogue entre les entités, à coordonner une partie des mesures (celles qui répondaient aux besoins de plusieurs secteurs) et à mener un projet de suivi coordonné des cas dits « complexes » (dossiers avec des problématiques multiples concernant plusieurs partenaires du dispositif). Il s’agit du projet pilote intitulé Réseau CII mentionné dans l’organigramme CII ci-avant.

Cependant, les travaux liés à la nouvelle stratégie d’intégration professionnelle ont mis en exergue la persistance de problèmes majeurs dans le suivi des demandeurs d’emploi et démontré la nécessité d’aller plus loin en sortant complètement des logiques institutionnelles arrêtées jusqu’ici. En clair, la réforme visée impose une redéfinition du dispositif d’appui aux demandeurs d’emploi dans sa globalité et non plus la poursuite de la mise en place de projets pilotes traitant d’une thématique particulière.

Dépasser la logique de territoires Sous le pilotage du Département de l’économie et de l’action sociale (DEAS), la nouvelle stratégie élaborée en collaboration avec l’ensemble des acteurs des domaines de l’emploi et de l’insertion intègre tous les services ou entités du dispositif d’appui aux demandeurs d’emploi. Elle se fonde sur les trois principes clé suivants :

  • Une approche unifiée, basée sur les capacités et besoins des demandeurs d’emploi (employabilité) et non sur leur statut ou sur l’entité par laquelle ils sont entrés dans le dispositif.
  • Une mobilisation accrue des employeurs grâce à la simplification des procédures et la clarification des rôles des services.
  • Une concentration des services sur leur cœur de métier et une mise en valeur de leurs compétences dans un cadre décloisonné.

Basée sur deux piliers d’importance équivalente que sont le renforcement du partenariat avec les employeurs (New Deal pour l’emploi) et la refonte du dispositif d’appui, la nouvelle stratégie s’inscrit complètement dans une logique interinstitutionnelle et transversale qui peut être schématisée comme suit selon la déclinaison arrêtée (voir graphique G2).

La flèche centrale définit le parcours du demandeur d’emploi dès son entrée dans le dispositif jusqu’au retour à l’emploi. Les parties en rouge foncé représentent les processus unifiés entre l’ensemble des entités. Les flèches transversales désignent la collaboration avec des entités compétentes lorsque c’est nécessaire, et ce même lorsque la maîtrise du dossier revient à l’OMAT/ORP ou à l’OAI.

Cette nouvelle approche apporte les avantages suivants :

  • Processus unifié : le rôle de chaque service est clair, les pôles de compétence uniques pour l’intégration professionnelle sont le service de l’emploi (SEMP) et l’AI pour les cas couverts par celle-ci.
  • Leadership clarifié : chaque étape est placée sous la conduite d’un seul service, même si un autre service doit intervenir en appui.
  • Démarche structurée : le demandeur d’emploi connait son état de situation, il a des objectifs réalistes à atteindre pour passer à l’étape suivante.
  • Suivi transparent : le parcours du demandeur d’emploi à travers les différents services est intégralement documenté dans un dossier personnel d’intégration.
  • Conduite stratégique : un monitorage global du dispositif permet d’optimiser l’engagement des moyens dans une logique d’amélioration continue et d’adaptation à l’environnement et au contexte conjoncturel notamment.

Le Grand Conseil neuchâtelois (parlement cantonal) a très largement validé cette vision stratégique au printemps 2016. Depuis, les travaux de mise en œuvre sont en cours avec un impact significatif sur le service de l’emploi qui jouera le rôle de pierre angulaire dans le nouveau dispositif. Les conséquences institutionnelles sont importantes et impliquent une réforme en profondeur du SEMP. Ce secteur a opéré sa mue avec l’entrée en vigueur d’une nouvelle organisation au 1er mai 2017. Ce domaine d’activités est organisé dès à présent autour de deux offices : l’office du marché du travail (OMAT) et l’office des relations et des conditions de travail (ORCT). C’est principalement au sein de l’OMAT que la politique d’intégration professionnelle sera menée. Relevons encore que cet office comprend deux secteurs : ProEmployeurs et ProEmployés-ORP.

Si la réforme intitulée SEMP 2020 est en marche et se déploiera tout au long de l’année 2017, la mise en adéquation des autres partenaires du dispositif suivra. Cette dernière impactera notamment le secteur de l’aide sociale (office cantonal de l’aide sociale et services sociaux régionaux) et le domaine de l’assurance-invalidité (OAI). Selon le schéma présenté ci-dessus, le secteur des migrations, le service de protection de l’adulte et de la jeunesse, ainsi que le service pénitentiaire seront aussi amenés à revoir leur processus afin de concrétiser la volonté du législateur. Un travail important d’accompagnement devra être conduit afin d’amener les équipes à travailler, pour certains dossiers, de manière transversale selon des interfaces de collaboration à renforcer ou à créer.

Implication concrète de la CII dans la déclinaison opérationnelle de la nouvelle ­stratégie A Neuchâtel, vu les orientations prises depuis 2013, la CII est en quelque sorte à un carrefour. La mise en place de la nouvelle stratégie d’intégration professionnelle pilotée par le DEAS est conduite par des organes ad hoc et non dans le cadre CII. En parallèle, des réflexions sont actuellement menées afin de clarifier les rôles et mandats des différents groupes de travail existants. La volonté est de pérenniser le Groupe de pilotage CII en repensant son mandat en fonction des décisions prises et du contexte cantonal.

En clair, il est attendu du GP CII, qui atteindra tantôt l’âge de majorité, de prendre la forme d’une plateforme de propositions au sens large de la politique d’insertion sociale et professionnelle. Les prises en charge sectorielle du public « jeunes » pourraient être un des thèmes prioritaires qui occupera à l’avenir cette structure. Les jeunes arrivés tardivement entrent dans le périmètre de ce public. Au niveau de son fonctionnement, la nouvelle structure CII ne devrait plus avoir comme mandat de mettre sur pied des projets et d’assurer leur pilotage, mais bien de remonter au Conseil d’Etat, par les départements concernés (DEF et DEAS), des préoccupations et des propositions d’amélioration et d’aménagement. Le périmètre de réflexions dévolu à la plateforme CII couvrira le thème des prises en charge des publics temporairement ou durablement éloignés du marché de l’emploi. La plateforme CII permettra aussi le maintien et la poursuite des liens avec les organes CII fédéraux.

La CII pourra aussi, en s’appuyant sur l’expérience d’un premier module de formation à l’attention des collaborateurs sur le terrain déployé en 2017, apporter son aide pour décliner une véritable logique transversale de travail en mettant en place progressivement une culture de collaboration in­terinstitutionnelle. La nouvelle stratégie d’intégration professionnelle impose de fait une telle évolution des cultures de travail en mettant en place des processus transversaux ayant pour objectif de décloisonner le dispositif. La CII, dont le mandat précis en termes de champ d’actions sera prochainement fixé par le gouvernement neuchâtelois, pourra à coup sûr amener sa pierre à l’édifice dans la construction du nouveau dispositif d’appui aux demandeurs d’emploi, ne serait-ce que par une connaissance approfondie et réciproque des acteurs concernés.

  • 1. Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS) et Conférence des chefs des départements cantonaux de l’économie publique (CDEP).
  • 2. Cf. rapport 15.047_CE du Conseil d’Etat au Grand Conseil du 21 octobre 2015, pages 7 et suivantes pour une description plus large du « paradoxe neuchâtelois » : www.ne.ch > Autorités > Objets > Rapports > 15.047_CE.
  • 3. Lors des élections cantonales de mai 2017, le Conseil d’Etat sortant a été réélu. Les orientations prises en 2013 et la répartition des départements sont maintenues pour la période 2017-2021.
Chargée de missions au Secrétariat général du Département de l’économie et de l’action sociale, République et canton de Neuchâtel.
[javascript protected email address]
Collaborateur scientifique et coordinateur cantonal CII, Service de l’action sociale, République et canton de Neuchâtel.
[javascript protected email address]

Autres articles sur le sujet