Rapport sur l’autisme : 
diagnostiquer et intervenir plus tôt

Le « Rapport sur les troubles du spectre de l’autisme » a été adopté le 17 octobre 2018 par le Conseil fédéral. Il prévoit diverses mesures visant à améliorer la situation des personnes concernées, afin qu’elles puissent participer aussi pleinement que possible à la société.
Maryka Lâamir
  |  07 juin 2019
  • Assurance-invalidité
  • Handicap
  • Réadaptation

Les mesures pour promouvoir l’intégration des personnes avec un trouble du spectre de l’autisme (TSA) doivent garantir l’accès à des offres adaptées et de qualité pour différents domaines de la vie. Afin de simplifier leur mise en œuvre, le Conseil fédéral a fixé trois axes d’intervention prioritaires, qui se trouvent en interaction avec d’autres champs d’action (cf. graphique G1).

Axes d’intervention prioritaires

Dépistage précoce et pose de diagnostic Le diagnostic constitue le premier axe prioritaire, car seul un diagnostic précoce et correct permet de prendre des mesures d’encouragement appropriées. En évitant la pose de diagnostics erronés, on prévient aussi des traitements inadéquats et des coûts inutiles. Le rapport reconnaît qu’au cours des dernières années, des progrès considérables ont été faits en la matière. Malgré cela, il existe encore un potentiel d’optimisation, surtout en ce qui concerne les délais d’attente pour un diagnostic qui peuvent aller jusqu’à une année.

Les mesures prévues dans le rapport visent à libérer des capacités suffisantes dans les cantons, afin que des professionnels expérimentés puissent examiner tous les enfants, adolescents et adultes, en cas de suspicion d’un TSA, dans un délai raisonnable. Pour atteindre cet objectif, il est indispensable d’élargir l’offre de manière à réduire la surcharge et à raccourcir les délais d’attente. Le rapport souligne aussi qu’il est nécessaire de trouver un bon équilibre entre la proximité géographique et l’accès à un service doté d’une équipe formée et multidisciplinaire. Dans ce but, il faut promouvoir la collaboration entre cantons : plusieurs cantons pourraient se regrouper ou certains cantons pourraient garantir un accès à leurs services selon des règles fixes.

Pour qu’un diagnostic puisse être posé, il faut que les symptômes et les signes annonciateurs soient décelés et appréciés correctement (dépistage précoce). Les améliorations qui s’avèrent encore nécessaires à ce sujet concernent surtout une sensibilisation et une information accrue de tous les professionnels impliqués.

Conseils et coordination Dans l’idéal, le diagnostic devrait être suivi d’un conseil et d’un accompagnement par un centre de compétence. Une fois le diagnostic posé, les familles concernées doivent en effet obtenir ces prestations.

Selon le rapport, à l’heure actuelle, les prestations de conseil sont proposées ponctuellement par différents acteurs, mais rarement par un service centralisé. Ce qui fait surtout défaut, c’est un accompagnement continu tout au long de la vie, qui permet d’intervenir de manière proactive et en réseau, en adoptant une approche large et globale. Au contraire, les acteurs responsables du soutien sont souvent organisés autour d’une institution qui suit la personne concernée (p. ex. école, jardin d’enfants, etc.) et ne cessent de changer, en particulier lors des transitions (entrée à l’école, transition de l’école à la formation professionnelle, passage à l’âge adulte), c’est-à-dire exactement dans les situations les plus difficiles à gérer pour les personnes souffrant d’un TSA et dans lesquelles le besoin d’accompagnement est le plus important. Dans ces situations, il importe que les personnes présentant un TSA soient soutenues autant que possible par la même personne, afin d’éviter qu’un changement au niveau des habitudes ne provoque une cassure qui aurait pour conséquence une détérioration de l’état de santé ou la perte du travail.

Outre les prestations de conseil, une coordination est souvent aussi nécessaire. Le rapport rappelle que la coordination est un thème important non seulement dans le domaine de l’autisme, mais aussi en général dans la stratégie globale « Santé 2020 » qui vise notamment à améliorer la coordination des soins. Les prestations en matière de conseil et de coordination sont un élément essentiel des soins de base et les besoins sont incontestables.

Le Conseil fédéral est convaincu que la mise sur pied de centres de compétence cantonaux ou régionaux serait un moyen idéal d’atteindre cet objectif, mais il est conscient qu’il revient aux cantons de définir la forme et l’organisation de cet accompagnement. Dans le rapport figurent trois exemples de bonnes pratiques (Tessin, Jura, Angleterre) qui pourraient servir de modèle.

Le rapport insiste par ailleurs sur le fait que la création de centres de compétence permettra aussi d’importantes améliorations dans d’autres champs d’action, étant donné qu’un tel organisme de référence pourra assumer une partie du travail de sensibilisation, mieux accompagner les personnes durant les phases de transition et apporter un soutien aux professionnels.

Intervention précoce Le dernier axe prioritaire concerne l’intervention précoce. Dans ce domaine, il faut faire la distinction entre les mesures « classiques » de soutien en âge préscolaire (qui comprennent essentiellement l’éducation précoce spécialisée, la logopédie et l’ergothérapie) et les programmes d’« intervention précoce intensive », qui ont vu le jour au cours des dernières années et qui s’adressent aussi aux enfants en âge préscolaire (normalement entre deux et quatre ans). Pour les premières, les améliorations concernent une augmentation de l’intensité des thérapies et l’utilisation de méthodes spécifiques à l’autisme.

Les programmes d’interventions précoces intensives ont été développés aux États-Unis et dans d’autres pays pour le traitement de l’autisme infantile. Depuis quelques années, certains centres de traitement de l’autisme proposent ce genre de programme aussi en Suisse. Il s’agit d’approches de thérapie comportementale (ABA) ou développementale (ESDM), avec 20 à 40 heures de thérapie par semaine fournies par différents groupes de thérapeutes (interdisciplinarité).

Les experts en pédopsychiatrie sont aujourd’hui convaincus qu’une intervention précoce intensive chez des enfants en bas âge permet d’assurer au mieux l’intégration de personnes présentant un TSA et de prévenir l’apparition ultérieure de symptômes associés, tels qu’un comportement destructif, l’automutilation ou une anxiété excessive.

Il faudrait donc mettre à disposition de tous les enfants qui le souhaitent, dans toutes les régions de Suisse des programmes d’intervention précoce intensive.

Projet pilote de l’assurance invalidité

Dans le cadre d’un projet mené de 2014 à 2018, l’AI a financé les interventions précoces intensives dans six centres, avec un montant forfaitaire de 45 000 francs par cas.

Parallèlement, l’OFAS a chargé un groupe de recherche d’effectuer une évaluation.

Les résultats de cette évaluation ont été publiés dans le rapport de recherche Évaluation de l’efficacité des méthodes d’intervention précoce intensive pour le traitement de l’autisme infantile, en octobre 2018 (cf. Liesen 2019). La conclusion principale de cette analyse est que l’efficacité de l’intervention précoce intensive a été prouvée par de nombreuses études scientifiques et fait consensus. À l’heure actuelle, aucun autre traitement n’obtient de meilleurs résultats dans le traitement de l’autisme infantile. Afin de garantir la continuité de l’offre, l’OFAS a lancé le projet pilote « Intervention précoce intensive auprès des enfants atteints d’autisme infantile » au sens de l’art. 68quater LAI, qui a succédé au projet arrivé à échéance à la fin 2018. Prévu entre 2019 et 2022, il s’agit d’une solution transitoire. La durée du projet pilote devra entre autres être utilisée pour approfondir les enseignements recueillis dans le rapport d’évaluation, pour résoudre les questions en suspens, et tout particulièrement pour mettre sur pied un modèle de financement commun entre AI et cantons.

Le gros problème lié à l’intervention précoce réside dans son financement. Les dispositions légales en vigueur sur les plans fédéral et cantonal ne sont pas adaptées au financement de l’intervention précoce intensive. L’interdisciplinarité étant un élément central de cette méthode, les traitements sont effectués par des professionnels provenant de disciplines différentes, qui combinent des éléments de leur propre discipline avec les méthodes de l’intervention précoce. Les prestations fournies par certains de ces professionnels peuvent être financées par l’AI (mesures médicales), d’autres relèvent de la compétence des cantons (mesures pédagogiques). C’est pourquoi leur financement suscite souvent des conflits de compétences.

Selon le Conseil fédéral il est impératif de trouver – de concert avec les cantons – une solution globale de financement à long terme. Dans ce but, il a chargé le DFI d’évaluer comment réaliser un modèle de coût de l’intervention précoce intensive. En effet, seul un financement commun entre AI et cantons peut garantir la pérennité de ces programmes (voir encadré).

Autres domaines d’intervention Afin de favoriser la participation à la société des personnes atteintes d’un TSA, le rapport insiste également sur la nécessité de mieux intégrer les enfants à l’école régulière en leur donnant l’accompagnement et le soutien dont ils ont besoin, et cela en accord avec la loi sur l’égalité pour les personnes handicapées (RS 151.3) et la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (RS 0.109).

Au sujet de la formation professionnelle et de l’insertion sur le marché du travail, le Conseil fédéral rappelle les conclusions du rapport de l’OCDE « Santé mentale et emploi – Suisse » (OCDE 2014) qui montrent que la transition entre l’école et la formation professionnelle, ainsi que le passage de la formation au monde du travail et le maintien durable en emploi, s’avèrent souvent problématiques pour les adolescents et les jeunes adultes souffrant d’un handicap psychique. Ces difficultés sont également évidentes dans le domaine de l’autisme.

Selon le rapport, de nombreuses mesures existent déjà dans le domaine de l’intégration professionnelle, tant au niveau de l’AI que des cantons. Mais aucune de ces mesures ne vise spécifiquement les jeunes atteints d’un TSA. Il y aurait lieu de mieux adapter les offres à leurs besoins et d’assurer un accompagnement plus étroit. Dans le cadre du projet Développement continu de l’AI (17.022), actuellement en discussion au Parlement, plusieurs mesures sont déjà prévues en ce sens (renforcement de l’accompagnement, case management, etc.) qui pourront bénéficier aussi aux jeunes avec un TSA (cf. CHSS 2017). Le passage de l’école à la formation (transition I) acquiert dans ce contexte une grande importance : sa réussite conditionne celle de la formation professionnelle qui suivra. Il est indispensable pour cela d’améliorer la coordination et la coopération entre les acteurs concernés (principalement école, offices AI, Case management Formation professionnelle).

En ce qui concerne le logement, le rapport observe un manque évident de programmes qui répondent au besoin de soutien individuel pour le passage du cadre familial à une vie autonome ou à un accompagnement à domicile, en particulier pour les (jeunes) adultes atteints d’une forme légère d’autisme. Il est donc très important de mieux préparer et de soutenir le processus qui mènera les jeunes à une vie hors du cocon familial. Il y a également lieu de favoriser l’élaboration de nouveaux programmes de logement avec un accompagnement « léger ».

Le rapport définit encore d’autres mesures dans le secteur protégé (école spécialisée, ateliers protégés et homes), ainsi que pour l’aide aux proches, l’organisation du temps libre et des loisirs, la formation des professionnels et l’amélioration des données disponibles.

Conséquences financières Le rapport essaie aussi de fournir une estimation des coûts des différentes mesures, tout en soulignant la difficulté de prévoir avec exactitude les conséquences financières. En effet, d’un côté, il manque des données précises sur le nombre de personnes atteintes d’un TSA qui vivent en Suisse et leur recours à des prestations. De l’autre côté, les conséquences financières dépendent fortement des particularités locales : quelles structures existent déjà, sont-elles adaptées, suffisantes, etc. Ces indications diffèrent d’une région à l’autre et les investissements financiers se présentent donc de façon très diverse suivant le contexte.

Malgré ces incertitudes, il est incontestable que les mesures proposées demandent des investissements financiers. Les améliorations qui en résultent pourront cependant aussi entraîner des économies. Un meilleur diagnostic, posé plus tôt, permet d’entamer précocement des traitements et des thérapies qui, grâce à une plus grande neuroplasticité du cerveau, peuvent aboutir à de meilleurs résultats. Cette amélioration est synonyme d’économies pour les mesures de soutien ultérieures à l’école, durant la formation et la vie active ou en matière de logement. Une meilleure coordination permet d’éviter des interruptions dans la formation ou la perte d’un travail. Une amélioration des mesures de soutien à l’école, tant pour les enfants que pour les professionnels, peut prévenir le surmenage pour tous et éviter que l’enfant, dans le pire des cas, doive être placé en école spéciale.

L’intervention précoce intensive est en ce sens un bon exemple. Le rapport mentionne plusieurs études qui ont démontré les économies réalisables à long terme grâce à elle.

La suite Pour atteindre les objectifs, il importe de tenir compte du fédéralisme, de la présence de nombreux acteurs différents et de la diversité des structures existantes.

Le rapport indique dans quels domaines, la Confédération, les cantons et les prestataires sont compétents en premier chef, et quelles mesures ils devraient mettre en œuvre.

Le Conseil fédéral invite en premier lieu les cantons, ainsi que tous les autres acteurs concernés, à réfléchir à ce qu’ils peuvent entreprendre concrètement dans leur domaine de compétence et à assumer un rôle actif dans la mise en œuvre de mesures concrètes. Vu que la situation initiale diffère dans chaque canton et chaque commune, le Conseil fédéral recommande aux cantons de dresser un état des lieux. Celui-ci devrait permettre, malgré les éventuelles contraintes budgétaires, d’établir des priorités claires. Le Conseil fédéral estime qu’indépendamment de la situation financière au niveau cantonal, il existe à la fois une marge de manœuvre et une nécessité d’agir. C’est dans cette optique qu’il a défini des axes d’action prioritaires dans le rapport.

Le Conseil fédéral veut aussi instaurer un dialogue continu avec les cantons et avec les conférences de gouvernements cantonaux concernées pour permettre de discuter de la mise en œuvre dans les champs d’action prioritaires. Il y aura lieu, à cet égard, d’examiner comment les cantons entendent coordonner et appliquer les mesures qui relèvent de leurs attributions.

Dans le même temps, le Conseil fédéral charge le Département fédéral de l’intérieur (DFI) d’entamer la mise en œuvre des tâches qui relèvent de la compétence de la Confédération, en particulier celles visant à favoriser la formation professionnelle des personnes concernées et leur intégration sur le marché du travail. D’autre part, il lui demande aussi de prendre contact avec les cantons pour rechercher un financement commun des interventions précoces intensives. Le Conseil fédéral attache en effet une grande importance à ce qu’une solution soit trouvée à ce sujet, afin que ces traitements importants puissent être administrés de manière ciblée sans que les centres concernés ou les parents ne doivent faire face à des questions de financement complexes.

L’origine du rapport

Le 10 septembre 2012, le conseiller aux États Claude Hêche a déposé un postulat (12.3672) qui invitait le Conseil fédéral à examiner la situation des personnes atteintes d’un trouble envahissant du développement (TED) et celle de leur entourage.

Pour répondre à ce postulat, l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a décidé de lancer un projet de recherche afin d’acquérir des connaissances sur l’autisme et faire un bilan de la situation. Les chercheurs ont dressé un constat pour chaque aspect analysé : établissement du diagnostic, interventions, éducation, formation, insertion professionnelle, soutien des familles, encouragement à l’autonomie, conseil et coordination. En outre, ils ont formulé huit recommandations sur la façon d’améliorer la situation des personnes atteintes d’un trouble du spectre de l’autisme (TSA). Ces résultats ont fourni la base d’un premier rapport du Conseil fédéral publié le 24 juin 2015 en réponse au postulat.

Le Conseil fédéral constate que des progrès importants ont été réalisés les dix à quinze dernières années dans le domaine de l’autisme. Il souligne toutefois que la Suisse est encore très éloignée d’une prise en charge optimale des personnes concernées. Bien que les conditions soient très variables d’une région à l’autre, le nombre d’offres adéquates est partout insuffisant. Le Conseil fédéral a reconnu la nécessité d’agir ; il a donc chargé l’OFAS de concrétiser la mise en œuvre des recommandations du rapport de recherche et de lui soumettre une stratégie commune à tous les acteurs clés. Un groupe de travail a été constitué à cette fin, auquel participent l’OFSP, le SEFRI, des représentants des cantons (CDAS, CDIP, CDS), des associations de parents ainsi que des spécialistes. Ce groupe a examiné les recommandations afin de définir, d’un point de vue professionnel, des approches permettant de les concrétiser. Ces dernières ont été intégrées au rapport du Conseil fédéral présenté ici.

Lic. phil., collaboratrice scientifique, secteur Prestations en nature et en espèces, domaine Assurance-invalidité, Office fédéral des assurances sociales
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