Programme national contre la pauvreté : bilan et perspectives

Depuis 2014, l’OFAS met en œuvre, le Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, en collaboration avec d’autres services fédéraux, les cantons, les villes, les communes et des organisations privées. Les partenaires ont dressé un bilan du programme en septembre 2018 et ont convenu de la poursuite de la collaboration jusqu’en 2024.
Gabriela Felder, Thomas Vollmer
  |  21 décembre 2018
  • Pauvreté
  • Réadaptation

Selon l’Office fédéral de la statistique, en Suisse, 615 000 personnes, dont 108 000 enfants et jeunes, vivent actuellement en situation de pauvreté. Les causes de cette pauvreté sont diverses. Le programme appréhende donc la pauvreté comme un phénomène complexe et, de ce fait, la prévention de la pauvreté constitue une tâche transversale impliquant différents domaines politiques et niveaux institutionnels.

Les acteurs de cette prévention sont les cantons, les villes, les communes et les organisations de la société civile (p. ex. les organisations de personnes concernées). Avec les offices fédéraux concernés, ils ont été impliqués dans les travaux préparatoires et dans la mise en œuvre du programme. Les travaux de réalisation ont été accompagnés par près d’une centaine de spécialistes issus des domaines social, de la formation, de l’intégration et de la santé. L’objectif du programme était d’élaborer des bases scientifiques solides et des guides pratiques pour la conception de mesures contre la pauvreté, surtout de prévention, de tester de nouvelles approches, de diffuser des exemples de bonnes pratiques, et de renforcer les échanges et la coopération entre les acteurs impliqués. Le programme était principalement destiné aux spécialistes et aux décideurs institutionnels ; il s’agissait de rassembler les connaissances existantes, de donner des impulsions aux acteurs impliqués et de les mettre en réseau.

Cet échange de connaissances et cette mise en réseau ont été encouragés dans le cadre de colloques nationaux, d’ateliers d’experts, de séminaires régionaux et de deux conférences nationales. Des informations sur les résultats et les activités du programme ont été régulièrement publiées sur le site Internet www.contre-la-pauvrete.ch.

En ce qui concerne le contenu, seize études et huit guides pratiques ont été réalisés entre 2014 et 2018. Elles ont porté sur quatre champs d’action : la promotion des chances de formation, l’intégration sociale et professionnelle, l’amélioration des conditions de vie générales et le monitoring de la pauvreté.

Garantir les chances de formation dès la petite enfance À l’enseigne de l’axe « Promouvoir les chances de formation des enfants, des jeunes et des adultes », 27 projets pilotes et d’évaluation visant à renforcer les chances de formation des enfants, des jeunes et des adultes ont été menés et soutenus financièrement.

Posséder un diplôme ou une qualification professionnelle constitue un facteur essentiel pour ne pas tomber dans la pauvreté ou pour en sortir. La communauté scientifique est unanime sur le fait que des jalons importants du développement de l’enfant sont posés dès la naissance, voire pendant la grossesse. Les enfants acquièrent dans leurs premières années de vie des compétences essentielles pour leur développement et leurs processus d’apprentissage futurs. En Suisse, la réussite de la scolarité obligatoire dépend dans une large mesure de l’origine sociale, et elle conditionne en outre les possibilités et les chances qui s’offriront dans le cadre de la formation professionnelle. Le programme a donc mis l’accent sur le renforcement, dès la petite enfance, des chances de formation des enfants socialement défavorisés.

Les résultats du programme montrent que l’efficacité des offres dépend de leur disponibilité et de leur qualité. Il est démontré qu’outre les offres générales proposées, il importe de mettre en œuvre des mesures de soutien ciblées pour les enfants en âge préscolaire (p. ex. l’encouragement des compétences linguistiques) et pour leurs parents (p. ex. des offres de formation facilement accessibles).

Enfin, il apparaît qu’en plus de l’encouragement des chances de formation durant les premières années de la vie, il est décisif de prévoir des systèmes de transition vers l’école, pendant la scolarité, puis vers la formation professionnelle initiale et le marché du travail.

Chances de formation pour les jeunes et les jeunes adultes aussi Cela dit, le programme met aussi l’accent sur les jeunes et les adultes en situation défavorisée. En réponse à la motion 14.3890 du groupe socialiste « Stratégie visant à réduire la dépendance des jeunes et des jeunes adultes de l’aide sociale », des recherches ont été menées sur la situation des jeunes et des jeunes adultes bénéficiaires de l’aide sociale. Elles portaient sur la période allant de la transition de l’école vers la formation professionnelle à leur entrée dans la vie active. Les résultats montrent que des offres de soutien différenciées existent déjà dans les cantons. Il importe toutefois de les développer. Ainsi, il n’existe pas encore suffisamment d’offres pour les groupes de personnes particulièrement défavorisés (p. ex. les jeunes mères qui élèvent seules leurs enfants). Si l’étude identifie des aspects qui doivent être améliorés, elle montre aussi de bons exemples à suivre pour réussir ce développement. Ainsi, des systèmes de détection précoce des jeunes à risque dès l’école primaire ou des services d’aiguillage cantonaux, qui garantissent une orientation vers les offres les mieux adaptées, peuvent contribuer à un soutien optimal des jeunes et des jeunes adultes.

L’expérience tirée des différents projets cofinancés dans le cadre du programme montre en outre qu’il est en général très exigeant de mettre en œuvre des mesures d’encouragement des compétences de base et de qualification professionnelle des adultes touchés par la pauvreté. En fonction du niveau de qualification et de la situation personnelle, il s’agit de prendre les bonnes mesures de formation, de trouver des solutions pour la garde des enfants pendant les périodes de formation et aussi de garantir un revenu au ménage. Les entreprises peuvent constituer à cet égard des partenaires privilégiés.

Tous ces résultats indiquent que les diverses mesures existantes devraient être coordonnées et inscrites dans une stratégie globale d’encouragement continu des chances de formation, de la petite enfance à l’âge adulte. Pour la mise sur pied de ce processus, le programme a développé un « modèle d’encouragement continu des chances de formation » (Edelmann et al. 2018).

L’intégration professionnelle, clé de la participation à la vie sociale L’intégration sur le marché du travail est non seulement une condition essentielle pour mener une vie autonome, mais aussi un sésame vers la participation à la vie sociale. Les personnes exclues du marché du travail risquent également d’être exclues sur ces deux plans. Les entreprises d’intégration sociale et professionnelle (EISP), dont le nombre s’élève à plus de 400, jouent un rôle important dans ce type de situation. La plupart proposent des emplois de durée limitée combinés avec des offres de conseil, de formation et de perfectionnement.

Les facteurs de succès de ces EISP, dont les activités sont encadrées par des conditions très exigeantes, ont été analysés dans le cadre du programme. Ces entreprises doivent d’une part s’imposer sur le marché et, d’autre part, poursuivre un objectif social pour leurs clients. Elles doivent réagir rapidement à l’évolution et aux changements du contexte général, tout en garantissant aux personnes qu’elles emploient un cadre protégé et stimulant. Comme il en résulte des défis particuliers pour le pilotage de la collaboration, un guide a été rédigé à ce sujet. Destiné aux organes d’exécution de l’aide sociale, de l’assurance-chômage et de l’assurance-invalidité, il entend les aider à établir des conventions de prestations ciblées avec les EISP.

Améliorer les conditions de vie des personnes défavorisées Il existe encore d’autres éléments qui représentent des défis pour les personnes touchées par la pauvreté, par exemple le logement. C’est pourquoi le programme s’est aussi penché sur cette question. Si les frais de logement représentent le problème majeur pour 80 % des ménages touchés par la pauvreté, les difficultés ne sont pas que financières. En effet, il leur est très difficile d’avoir accès à un logement adéquat ou à des informations sur leurs droits et obligations en tant que locataires, etc. (Kehrli et al. 2016). C’est pourquoi, outre des aides au logement, des offres de soutien non monétaire pour les ménages à bas revenus ont aussi été identifiées et rassemblées dans le cadre du programme dans un document destiné aux cantons, aux villes et aux communes.

Les dettes contractées ont également un impact négatif sur les personnes en situation défavorisée. Si elles ne peuvent pas être durablement résorbées et qu’elles s’ajoutent à des déficits difficiles à surmonter ou à des événements critiques de l’existence (chômage, divorce, etc.), elles peuvent conduire à des crises existentielles. Les résultats du programme montrent que les possibilités d’assainir les dettes sont très limitées en Suisse si les moyens financiers font défaut. Les instruments traditionnels ne sont pas suffisants pour les bénéficiaires de l’aide sociale. De même, des approches globales pour le suivi et l’accompagnement des personnes endettées ainsi que pour un assainissement légal des dettes plus efficace font défaut.

Une part essentielle de la prévention de la pauvreté des familles est supportée par les communes et les villes. Elles répondent à la pauvreté des familles par une grande diversité de prestations, financières ou non. Il ressort des résultats du programme qu’une lutte efficace contre la pauvreté des familles requiert des offres de soutien communales coordonnées. Plus concrètement, outre des aides afin de garantir la sécurité financière des familles, des mesures ciblées visant à améliorer la qualification professionnelle des parents combinées à un soutien et à une garde ciblés des enfants sont également nécessaires.

Un autre élément essentiel des conditions de vie des personnes défavorisées réside dans l’accès à des informations fiables et adaptées à leurs besoins sur les prestations dont elles peuvent bénéficier et qui peuvent les aider dans des situations difficiles. Il est important que ces personnes puissent avoir accès sur place à des guichets sociaux polyvalents facilement accessibles qui leur transmettent les informations et les aident à s’orienter parmi les offres. Elles devraient en outre avoir facilement accès, via Internet, aux informations existantes sur les prestations de l’aide sociale.

Monitoring de la pauvreté Un projet de recherche a été consacré au monitoring de la pauvreté. Il décrit les approches existant en Suisse en matière de monitoring de la pauvreté (notamment les données statistiques au niveau national ainsi que les rapports cantonaux en matière de politique sociale et de pauvreté). Il en a été tiré une réflexion sur la mise en place d’un monitoring régulier de la pauvreté pour toute la Suisse.

Bilan positif du programme Le programme a été évalué par ses destinataires grâce à une évaluation scientifique externe (Marti et al. 2018). Un peu moins d’un an avant la fin du programme, cette évaluation a fait ressortir une approche intersystèmes avec des mesures de mise en œuvre bien étayées. Les guides pratiques ont été jugés compréhensibles et pertinents. Grâce au programme, les connaissances en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté en Suisse ont été approfondies et la coordination, la collaboration et la mise en réseau des acteurs ont été renforcées. L’évaluation a montré que des améliorations peuvent être apportées en matière de participation des personnes touchées par la pauvreté, d’accès de celles-ci aux informations et aux services de conseil, ainsi que dans la collaboration avec le monde économique. L’OFAS considère que, dans l’ensemble, les résultats de l’évaluation sont satisfaisants et qu’ils attestent de l’immense travail accompli ces dernières années par les nombreux acteurs.

Le Programme national contre la pauvreté dans Sécurité sociale  CHSS

Adam, Stefan M. ; Avilés, Gregorio ; Schmitz, Daniela (2016) : « Facteurs de réussite des entreprises visant l’intégration sociale et professionnelle », dans le no 3/2016, pp. 44-48.

Althaus, Eveline ; Glaser, Marie ; Schmidt, Michaela (2017) : « Des garanties financières pour favoriser l’accès au logement », dans le no 4/2017, pp. 32-36.

Beck, Lukas ; Fuchs, Sarah ; Thoma, Matthias ; Althaus, Eveline ; Schmidt, Michaela ; Glaser, Marie (2018) : « Offres d’aide au logement pour les ménages vulnérables », dans le no 2/2018, pp. 35-39.

Beyeler, Michelle ; Walser, Konrad (2016) : « Consultation sociale 2.0 », dans le no 4/2016, pp. 16-19.

Buser, Patricia ; Augsburger, Karin (2018) : « Une réflexion et une action coordonnées pour la petite enfance », dans le no 4/2018, pp. 30 s.

Edelmann, Doris ; von Dach, Andrea ; Stern, Susanne (2018) : « Améliorer les chances de formation pour réduire la pauvreté », dans le no 4/2018, pp. 21-24

Felder, Gabriela (2016) : « Tour d’horizon du Programme national contre la pauvreté », dans le no 2/2016, pp. 8 -11.

Felder, Gabriela ; Vollmer, Thomas (2018) : « Programme national contre la pauvreté : bilan et perspectives », dans le no 4/2018, pp. 12-16

Felder, Gabriela ; Hametner, Claudia (2018) : « Encouragement précoce dans les communes : potentiel et défis », dans le no 4/2018, pp. 32-34

Glaser, Marie ; Althaus, Eveline ; Schmidt, Michaela (2016) : « Mesures de soutien non monétaire en matière de logement », dans le no 3/2016, pp. 38-43.

Guggisberg, Martina ; Häni, Stephan ; Fleury, Stéphane (2016) : « Comment mesurer la pauvreté ? », dans le no 2/2016, pp. 16-21.

Kehrli, Christin ; Knöpfel, Carlo ; Bochsler, Yann ; Fritschi, Tobias (2016) : « Situation de logement des ménages pauvres ou précaires », dans le no 2/2016, pp. 29-33.

Knocks, Stefanie (2016) : « Collaborer avec les parents pour prévenir la pauvreté », dans le no 4/2016, pp. 20-22.

Löw-Le Bihan, Michael (2017) : « Bilan intermédiaire de la prévention et de la lutte contre la pauvreté », dans le no 1/2017, pp. 6-8.

Marti, Michael ; de Buman, Annick ; Walther, Ursula (2018) : « Évaluation du Programme national contre la pauvreté », dans le no 4/2018, pp. 17-20

Programme national contre la pauvreté (2016) : « Le programme vu par le groupe de pilotage », dans le no 2/2016, pp. 22-28.

« Programme national contre la pauvreté : bilan des partenaires du programme », dans le no 4/2018, pp. 35-39

Neukomm, Sarah ; Bock, Simon (2018) : « Un nouveau guide pratique facilite la collaboration avec les EISP », dans le no 1/018, pp. 29-31.

Neukomm, Sarah ; Fontana, Marie-Christine (2016) : « État et limites des rapports sur la pauvreté en Suisse », dans le no 2/2016, pp. 12-15.

Neuenschwander, Markus P. ; Rösselet, Stephan (2016) : « Parents socialement défavorisés et choix professionnel », dans le no 2/2016, pp. 39-43.

Schär, Suzanne (2018) « La pauvreté ronge la personnalité et les familles », dans le no 4/2018, pp. 8-11

Schmidlin, Sabina (2018) : « Jeunes à l’aide sociale : accès à la formation et insertion dans la vie professionnelle », dans le no 4/2018, pp. 25-29

Stutz, Heidi (2017) : « Stratégies et mesures communales de lutte contre la pauvreté des familles », dans le no 1/2017, pp. 19-23.

Engagement commun contre la pauvreté prolongé jusqu’en 2024 Dans son rapport du 18 avril 2018, le Conseil fédéral a pris acte des résultats du Programme national contre la pauvreté et en a tiré un bilan positif (Conseil fédéral 2018). Il est d’avis que la collaboration entre la Confédération, les cantons, les villes, les communes et les organisations de la société civile a fait ses preuves. Au vu des changements structurels dans l’économie et de l’actualité du problème, le Conseil fédéral a décidé de poursuivre son engagement jusqu’en 2024, quoique sous une forme réduite. Par contre, il renonce à instaurer un monitoring national de la pauvreté, renvoyant aux statistiques existantes en la matière et aux rapports produits par l’Office fédéral de la statistique.

Lors de la Conférence nationale contre la pauvreté du 7 septembre dernier, il n’a pas seulement été question des objectifs atteints, mais aussi de l’avenir. La signature d’une déclaration commune en est la concrétisation. Les cantons, les villes et les communes s’engagent à mettre en œuvre les recommandations formulées et à développer les mesures existantes. La Confédération continuera à promouvoir l’échange de connaissances et à travailler sur les thèmes prioritaires choisis (Déclaration commune 2018).

Les activités visant à promouvoir la mise en réseau et l’échange de connaissances seront poursuivies sous l’appellation « Plateforme nationale contre la pauvreté 2019-2024 ». Une nouvelle évaluation des mesures mises en œuvre sera réalisée d’ici à 2024 et ses résultats seront discutés dans le cadre d’une conférence nationale (OFAS 2018).

Collaboratrice scientifique, secteur Vieillesse, générations et société, FGS, OFAS.
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Pédagogue social (FH), MA Comparative European Social Studies (londonmet), Executive MPA (unibe), responsable du secteur Vieillesse, générations et société, OFAS.
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