Nouvelle protection sociale entre le chômage et la retraite

Les perspectives des personnes qui arrivent au bout de leurs indemnités de chômage après 60 ans se limitent souvent à l’aide sociale. Le Conseil fédéral propose de pallier cette lacune dans le système fédéral de protection sociale avec une nouvelle prestation.
Mélanie Sauvain
  |  11 mars 2020
    Droit et politique
  • Aide sociale
  • Assurance-chômage
  • Assurance-vieillesse et survivants
  • Chômage
  • Pauvreté
  • Prestations complémentaires

Les personnes de 55 ans et plus ont moins de risque de se retrouver au chômage que les plus jeunes. En revanche, une fois sans emploi, ces personnes ont clairement plus de difficultés à se réinsérer sur le marché du travail. Une spirale peut alors se mettre en place avec des conséquences dramatiques : l’assuré épuise son droit au chômage et ses économies, entame son 2e et 3e pilier, se retrouve à l’aide sociale et finit avec des prestations vieillesse très réduites, une fois atteint l’âge ordinaire de la retraite.

Le Conseil fédéral souhaite prioritairement éviter que cette spirale se mette en place en améliorant l’employabilité des seniors. Plusieurs mesures en ce sens ont été présentées en mai 2019 et seront mises en place dans le cadre de l’assurance-chômage. Il s’agit notamment de :

  • Bilan professionnel, évaluation de potentiel et conseil de carrière proposés sans frais pour les plus de 40 ans
  • Prise en compte des acquis dans la certification ­professionnelle
  • Programme d’impulsion pour les demandeurs d’emploi ­difficiles à placer (coaching, mentoring, conseil, etc.)
  • Accès à des mesures de formation ou d’emploi pour les ­chômeurs en fin de droit de plus 60 ans.

Si tous les efforts de réinsertion professionnelle échouent, une dernière mesure vise à garantir la couverture des besoins vitaux des personnes qui arrivent au bout de leur droit au chômage après 60 ans. Une prestation transitoire leur sera versée, sous certaines conditions, en attendant l’âge ordinaire de la retraite. Cela permettra aussi d’éviter que les concernés anticipent la perception de leur rente vieillesse.

Cette mesure fait l’objet d’une nouvelle législation : la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra), dont le Conseil fédéral a transmis le message au Parlement le 30 octobre 2019 (Conseil fédéral 2019).

Conditions d’octroi  La prestation transitoire sera octroyée à une catégorie ciblée de personnes. Il s’agit des personnes de plus de 60 ans qui arrivent à la fin de leur droit au chômage, par exemple des personnes qui ont perdu leur travail à 58 ans et qui ont épuisé leurs indemnités de l’assurance-chômage à 60 ans.

Pour bénéficier de la prestation transitoire, ces personnes devront remplir les conditions cumulatives suivantes :

  • avoir cotisé pendant au moins 20 ans à l’AVS
  • en ayant réalisé un revenu minimum de 21 330 francs (valeur 2019) par an durant ces 20 ans
  • et avoir réalisé ce revenu également durant au moins 10 ans au cours des 15 ans précédant la fin du droit au chômage.

La fortune est un autre élément déterminant. Les personnes seules avec une fortune supérieure à 100 000 francs – 200 000 francs pour les couples – n’auront pas droit à la prestation transitoire. Cette restriction est la même que celle qui a été introduite dans le cadre de la réforme des prestations complémentaires. La valeur d’un bien immobilier qui sert d’habitation au bénéficiaire ne sera pas prise en considération, au contraire du rendement qui en découle.

Enfin, il ne faudra pas déjà percevoir de rente vieillesse de l’AVS ou de rente AI. Les personnes à l’AI en difficultés financières ont en effet déjà droit aux prestations complémentaires.

S’il faudra impérativement être domicilié en Suisse et y avoir sa résidence au moment de faire valoir son droit, il sera ensuite possible d’exporter la prestation vers les États membres de l’Union européenne, ainsi qu’en Islande, en Norvège et au Liechtenstein. Une adaptation au pouvoir d’achat du pays sera toutefois effectuée.

Prestation plafonnée  La prestation transitoire est calculée de la même manière que la prestation complémentaire (PC) : son montant correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants. Sur deux points, le calcul diffère :

  • Les montants forfaitaires destinés à la couverture des besoins vitaux sont majorés de 25 % par rapport à la PC. Ils s’élèvent à 24 310 francs pour une personne seule et à 36 470 francs pour un couple. Cette majoration permet de couvrir les frais de maladie et d’invalidité, qui sont remboursés ­séparément dans le système des PC.
  • La prestation transitoire est plafonnée afin d’inciter les bénéficiaires à continuer à chercher une activité lucrative. Elle ne peut pas dépasser trois fois le montant destiné à la couverture des besoins vitaux dans les PC. Le plafond est de 58 350 francs par an pour une personne seule et de 87 525 francs par an pour un couple.

Prestation moyenne de 3500 francs par mois  Chaque année, quelque 2600 personnes de 60 ans ou plus arrivent en fin de droit dans l’assurance-chômage. En tenant compte des conditions d’octroi proposées dans le message, l’OFAS estime qu’après une phase de mise en place, quelque 4400 personnes en moyenne auront droit, chaque année, à cette prestation.

Toujours en moyenne, la prestation devrait se monter à environ 3500 francs par mois pour une personne seule ; à 4625 francs par mois pour un couple.

Sur cette base, les coûts de la mesure sont estimés à 30 millions de francs l’année de son introduction, prévue en 2021, pour atteindre 230 millions à partir de 2030. En échange, le système des PC devrait être allégé de quelque 20 millions de francs par an. Les cantons et les communes bénéficieront également d’économies dans le domaine de l’aide sociale, de l’ordre de 20 millions par an.

Les prestations transitoires seront financées par les ressources générales de la Confédération et les frais d’exécution par les cantons. De plus, la Confédération versera encore 69,5 millions de francs par an durant trois ans – 210 millions en tout – à l’assurance-chômage dans le but de financer les coûts des mesures de réinsertion professionnelle des chômeurs âgés.

Les conséquences économiques et sociales de la prestation transitoire ainsi que ses éventuels effets sur les incitations à travailler ont fait l’objet d’une étude (Rudin et al. 2019), publiée en même temps que le message et qui fait l’objet d’un article séparé de la CHSS (Rudin et al. 2020). En résumé, les chercheurs estiment qu’il n’y a aucune raison de craindre que les chômeurs âgés fassent moins d’efforts pour se réinsérer sur le marché du travail dans une mesure pertinente pour l’économie, ou que les employeurs licencient plus facilement leurs travailleurs âgés en raison de l’existence de la prestation transitoire.

Début du processus parlementaire  Le 12 décembre 2019, le Conseil des États a largement remanié le projet du Conseil fédéral avant de l’adopter par 33 voix contre 11. Selon la nouvelle mouture, les prestations transitoires ne devraient pas être versées jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite, comme le veut le Conseil fédéral, mais seulement jusqu’au moment où une rente vieillesse peut être anticipée. Le plafond prévu a lui été abaissé, passant du triple au double du montant destiné à la couverture des besoins vitaux dans les PC. Le Conseil national se penchera sur ce dossier durant la session de mars 2020.

Responsable de projets, 
service Relations publiques, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
[javascript protected email address]