Les villes, acteurs incontournables 
de la politique de la petite enfance

En Suisse, près de trois quarts des enfants de 0 à 4 ans vivent en environnement urbain. Dans le domaine de la petite enfance, les villes répondent aux enjeux actuels en mettant sur pied une offre adaptée aux besoins. Elles dépendent à cet égard du soutien de leur canton et de la Confédération.
Franziska Ehrler
  |  04 juin 2021
  • Égalité des chances
  • Enfants
  • Famille
  • La société

Dans la plupart des cantons, les offres du domaine de la petite enfance, et leur financement, relèvent de la responsabilité des villes et des communes. En développant de nouvelles offres accessibles à tous et en leur allouant les ressources financières nécessaires, les villes jouent souvent un rôle de pionnier et sont des acteurs incontournables de ce secteur. Ce mandat politique leur est souvent attribué à l’échelon local.

Les villes procurent les fondements Les grandes villes ont mis en place des stratégies relatives à la politique de la petite enfance bien avant les autres collectivités. Nombre de petites et moyennes villes leur ont depuis emboîté le pas. Pour contrôler et développer les directives stratégiques, les divers acteurs de ce domaine doivent pouvoir s’appuyer sur des bases statistiques communales, cantonales et fédérales. Les villes peuvent y contribuer en mettant à disposition les données relatives à leurs offres et à la demande de leurs habitants. Dans le canton de Zurich, par exemple, 60 % des communes enquêtent sur les besoins en matière d’accueil extrafamilial des enfants (Blöchlinger et al. 2020, p. 22).

Pas de bonne coordination sans répartition claire des compétences Pour une politique de la petite enfance ciblée et adaptée aux besoins, il est vital que l’ensemble des acteurs forment un réseau et se coordonnent efficacement. Les villes fournissent un travail fondamental en promouvant la coordination transversale au sein des départements municipaux, en reliant les acteurs et en proposant des formations continues. Il est en effet crucial de relier les offres de l’encouragement précoce aux autres prestations destinées aux enfants et à leur famille, telles que les soins médicaux de base, l’encouragement à l’intégration ou l’assistance économique. Dans l’idéal, les villes et les cantons harmonisent les offres relatives à la petite enfance avec le domaine scolaire.

Un plan quinquennal pour Zurich

Le Programme de mesures relatif à l’encouragement précoce 2021-2025 de la Ville de Zurich (Département des affaires sociales de la Ville de Zurich 2020) constitue un exemple actuel de procédure stratégique coordonnée à l’échelon d’une ville. Dix ans après la première stratégie en la matière (Département des affaires sociales de la Ville de Zurich 2016), Zurich a réalisé une analyse de la situation à grande échelle. De nombreuses données ont permis de détailler les services disponibles, le degré d’accès aux groupes cibles et la mise en réseau des acteurs. Enfin, trois départements (formation, affaires sociales et santé publique) ont élaboré, sur cette base, un programme de mesure sur cinq ans et l’ont soumis au Parlement cantonal.

Il est impératif de coordonner les échelons communaux, cantonaux et fédéraux si l’on veut pérenniser le dialogue, l’échange d’expérience et le transfert de connaissances entre l’ensemble des acteurs. Les villes sont disposées à partager leurs expériences et à apporter leur contribution au renforcement de la collaboration. Cependant, elles estiment qu’il est nécessaire, en plus de la coordination et de la mise en réseau, de régler clairement les compétences entre ces trois échelons de l’État. Elles souhaiteraient donc que ces compétences soient inscrites dans un article constitutionnel ou une loi fédérale comparable.

Assurer une offre riche et variée Les villes entendent proposer à toutes les familles ayant des enfants en bas âge des offres de qualité proches de leur domicile. Il faut pour ce faire que l’offre existe, mais aussi qu’elle soit accessible à l’ensemble des familles. Les villes s’engagent sur ces deux points.

Ces dernières années, les villes ont beaucoup investi ; les grandes villes, notamment, proposent une offre riche et variée visant à soutenir de manière optimale les enfants, de leur naissance à leur entrée à l’école. Il s’agit d’offres s’adressant à toutes les familles, telles que les conseils aux mères et aux pères, les groupes de jeu et les structures d’accueil de jour, mais aussi d’offres destinées à des groupes cibles spécifiques, comme les programmes de visites à domicile ou la promotion précoce du langage.

L’égalité des chances passe par la promotion précoce du langage

Plusieurs villes s’engagent dans le domaine de la promotion précoce du langage afin que tous les enfants entrant à la maternelle maîtrisent suffisamment la langue locale pour pouvoir communiquer. Par exemple, la ville de Bâle a développé un questionnaire (Ville de Bâle 2021) portant sur les compétences linguistiques des enfants un an et demi avant leur entrée en maternelle. En fonction du résultat, les enfants reçoivent un soutien en allemand. Ce questionnaire a été repris par plusieurs villes et communes. Avec Deutsch für die Schule (Ville de Coire 2021), Coire a également mis sur pied un programme où, dans l’année précédant leur entrée en maternelle, les enfants peuvent si nécessaire passer deux demi-journées dans une structure germanophone et être soutenus de manière ludique. Enfin, Lucerne a créé en 2019 les bases légales permettant de développer et d’intensifier la promotion précoce du langage (Ville de Lucerne 2021) et mise entre autres sur le renforcement de la formation continue des professionnels encadrant les groupes de jeu et les structures d’accueil de jour.

L’offre d’accueil extrafamilial des enfants s’est fortement développée ces dernières années. Une étude de la CDAS relève que près de la moitié de toutes les places d’accueil en Suisse se trouvent dans les cantons de Zurich et de Vaud, où se trouvent les grandes agglomérations que sont Zurich et Lausanne (Ecoplan 2020, p. 5). Cependant, le rapport de monitoring du canton de Zurich, par exemple, montre que le taux d’accueil présente encore des différences, même dans les communes urbaines (Blöchlinger et al. 2020, p. 28).

Garantir la facilité d’accès et créer des ouvertures Les villes doivent relever le défi de garantir l’accès l’ensemble des familles aux offres qu’elles mettent en place. Winterthour a fondé sa stratégie sur l’hypothèse que près de 10 % de tous les enfants entre 0 et 5 ans en Suisse grandissent dans des familles en situation difficile et dans des conditions peu favorables à leur développement (Ville de Winterthour 2020). Or, ces familles ont en moyenne moins souvent recours à l’encouragement précoce, alors même qu’elles en seraient les principales bénéficiaires (Conseil fédéral 2021, p. 44). Le succès de l’encouragement précoce repose sur l’identification rapide de ces familles et sur un suivi continu. Il faut donc aménager des offres accessibles au plus grand nombre, à savoir à bas prix ou même gratuites, et bien positionnées dans l’espace social. Il convient aussi de disposer d’offres de proximité et de personnes-clés de langues maternelles diverses, puisque la communication orale fonctionne souvent mieux que les brochures et les dépliants.

Soutenir les enfants et renforcer les parents grâce au programme de visites à domicile petits:pas

Le programme petits:pas, présent dans 28 villes et communes, dont Berne, Bienne, Genève, Lausanne ou Soleure, vise à atteindre rapidement les enfants de familles vulnérables, à les accompagner et à les soutenir. petits:pas est un programme préventif d’encouragement précoce qui allie l’encouragement de l’enfant, à domicile, à l’intégration sociale de la famille et au renforcement des compétences parentales.

Il convient également de faciliter autant que possible le recours aux offres et aux subventions en concevant, par exemple, des formulaires et des procédures simples et compréhensibles (Ville de Winterthour 2020, p. 8 ss). Par ailleurs, les offres doivent être harmonisées et assurer un suivi parfait. Il faut veiller à ce que les familles reçoivent dès la naissance de l’enfant les informations nécessaires et aient accès aux offres au bon moment. Cela signifie, par exemple, que les services de conseil aux parents prennent le relais des sages-femmes ou que l’encouragement précoce soit bien coordonné avec l’entrée à l’école.

Des tarifs élevés freinent l’accès aux offres d’accueil extrafamilial des enfants Il est essentiel pour chaque famille d’avoir accès aux informations et aux offres au moment opportun. Mais dans le domaine de l’accueil extrafamilial des enfants, les coûts élevés pénalisent non seulement les familles aux revenus modestes, mais aussi de nombreuses familles de la classe moyenne. En comparaison internationale, les frais à charge des familles sont élevés en Suisse, car les subventions publiques sont relativement faibles. Trouver une solution à ce problème ne relève toutefois pas uniquement de la responsabilité des villes et suppose un effort des trois échelons étatiques.

Les villes investissent plusieurs centaines de millions de francs par an Les villes allouent d’importantes ressources financières à la politique de la petite enfance. Aujourd’hui, les grandes villes y investissent au total plusieurs centaines de millions de francs par an. Il est juste et important que les villes fournissent une contribution substantielle, puisqu’en tant que lieu de résidence des familles, elles sont proches des groupes cibles et connaissent bien les enjeux actuels. Elles mettent en place des offres appropriées et les financent en grande partie. Mais les villes ne peuvent à elles pas seules subventionner une offre générale et étendue, qui nécessite des modèles de financement commun soutenus par les trois échelons de l’État. Il serait donc important qu’une part des ressources financières de la Confédération soit octroyée directement aux villes et communes, et non uniquement aux cantons.

S’agissant de l’accueil extrafamilial notamment, les villes ne peuvent assumer seules l’ensemble des coûts. En effet, il s’agit d’une structure ordinaire qui devrait être générale et accessible à tous. Actuellement, un tiers des enfants entre 0 et 3 ans vont à la crèche ; dans les villes, ce chiffre pourrait même être plus élevé.

La plupart des cantons disposent de bases légales et de directives en matière d’accueil extrafamilial, même si elles sont très variées. Dans nombre d’entre eux, le financement est toutefois entièrement ou essentiellement à la charge des communes. Ainsi, dans onze cantons, l’accueil extrafamilial des enfants est entièrement financé par les communes, et dans quinze autres, les coûts sont répartis entre le canton et les communes (Ecoplan 2020). Au vu de l’importance sociale et économique de ces offres et des directives générales, il serait opportun que la Confédération, les cantons et les communes définissent et mettent en œuvre des modèles de financement commun. Si les contributions parentales devaient encore diminuer, la part du budget correspondant alors assumée par les pouvoirs publics excéderait rapidement les capacités financières des communes. En plus des cantons, il est donc nécessaire que la Confédération fournisse une contribution financière qui ne se limite pas dans le temps, mais qui constitue bien une participation continuée. Il faudrait aussi envisager de faire participer les employeurs, puisque cela contribuerait directement à améliorer la conciliation de la famille et de la vie professionnelle. La Suisse romande dispose déjà de modèles fonctionnant bien dans ce domaine.

Un personnel compétent et de bonnes conditions structurelles sont des gages de qualité Le succès de la politique de la petite enfance dépend enfin de la qualité de l’offre. Un personnel compétent et de bonnes conditions structurelles sont des gages de qualité et ont un impact positif sur le développement cognitif, linguistique et social des enfants. Garantir et développer la qualité constitue donc un objectif supplémentaire de cette politique.

Les professionnels doivent être formés en continu. Les bénévoles et les non-professionnels travaillant dans le domaine de la petite enfance doivent être encadrés de manière adéquate. Les cantons et les communes doivent veiller à fournir de bonnes conditions structurelles et des salaires équitables et à mettre à disposition suffisamment de ressources temporelles pour l’échange d’expérience, la supervision et la formation continue. Dans ce domaine-là aussi, les villes ne peuvent agir seules. Il est nécessaire d’harmoniser les exigences minimales à l’échelon cantonal, dans l’idéal sous la forme d’un concordat relatif à la politique de la petite enfance où les cantons conviendraient de la manière de remplir les obligations découlant de la Constitution et de la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant, ainsi que de la forme que prendrait leur collaboration. Ils y définiraient l’offre de base et les exigences minimales.

À l’avenir aussi, les villes s’engageront pour la politique de la petite enfance En résumé, les villes continueront de s’engager sur le plan financier et stratégique pour développer une offre adaptée aux besoins et la mettre à la disposition de tous. L’objectif est de soutenir sans failles tous les enfants et leurs parents, de la naissance jusqu’à l’entrée à l’école. Dans le domaine de l’accueil extrafamilial des enfants, notamment, les autres échelons de l’État doivent aussi contribuer à définir des exigences minimales et à garantir le financement. L’Union des villes suisses participe à cet effort en soutenant l’échange d’informations et le transfert de connaissance entre villes et en contribuant au débat technique et politique, par exemple avec sa Prise de position : politique de la petite enfance (Union des villes suisses 2021).

Lic. rer. soc., responsable Questions sociales, Union des villes suisses.
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