Le directeur de l’OFAS, Jürg Brechbühl, prend congé

Jürg Brechbühl a été directeur de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) de juillet 2012 à fin novembre 2019. Auparavant, jusqu’en 2005, il a aussi occupé durant 23 ans diverses ­fonctions à l’OFAS. Ses connaissances en assurances sociales sont ainsi difficilement égalables, en particulier en ce qui concerne la prévoyance vieillesse. En entretien avec la CHSS, Jürg ­Brechbühl analyse l’évolution des dernières années et porte un jugement sur les questions sociopolitiques actuelles.
  |  23 décembre 2019
  • Politique sociale en général

CHSS :Il y a sept ans, vous preniez la direction de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS). Quelle a été votre plus grande défaite en tant que directeur d’office et comment l’avez-vous surmontée ?
Jürg Brechbühl: Ce fut le 24 septembre 2017. J’étais revenu dans l’office avec l’espoir et l’intention de contribuer à l’aboutissement d’une réforme raisonnable de la prévoyance vieillesse. Malgré l’immense travail fourni, la votation populaire de septembre 2017 a été un échec. Ce fut un coup dur. Après une semaine à New York et après avoir assisté à deux magnifiques opéras, je me suis retroussé les manches et je suis retourné au ­travail : c’était reparti pour le traitement des affaires courantes.

Et quels ont été vos plus grands succès ?
Deux révisions centrales ont eu lieu pendant mon mandat : la réforme des prestations complémentaires (PC) et le Développement continu de l’AI. La réforme des PC profite aux bénéficiaires de rente les plus défavorisés. Le fait que les montants maximaux pris en compte au titre du loyer dans le calcul des PC n’aient pas été adaptés à l’augmentation des loyers pendant 20 ans a été source de grandes difficultés pour les bénéficiaires de PC. Il est important que nous ayons pu corriger cela. Quant au Développement continu de l’AI, il permet de clore le passage d’une assurance de rentes à une assurance de réadaptation. La réforme contient de nouveaux instruments essentiels pour la réadaptation des jeunes et des personnes présentant un handicap psychique.

Quel est le dossier le plus important encore en suspens ?
Il s’agit de la réforme de la prévoyance vieillesse. Elle ne sera pas encore réglée au moment de mon départ de l’OFAS.

Vous avez commencé votre carrière professionnelle à l’OFAS en 1982 et vous avez connu Hans Hürlimann, Alphons Egli, Flavio Cotti, Ruth Dreifuss, Pascal Couchepin et maintenant l’actuel chef du DFI Alain Berset, ce qui fait au total six conseillers fédéraux. Qui vous a le plus marqué ?
Lorsque je travaillais comme collaborateur juridique, je n’ai connu que de loin Hans Hürlimann et Alphons Egli. Chaque conseiller fédéral avait ses particularités. L’excellente mémoire des chiffres de Flavio Cotti a été pour moi un grand défi. J’ai ensuite collaboré pendant dix ans avec Ruth Dreifuss ; ce fut une période très importante pour moi. Elle a été très proche de nous tous en tant que conseillère fédérale. Je n’ai pas collaboré longtemps avec le conseiller fédéral Pascal Couchepin. Je me souviens de lui comme un libéral, dans le meilleur sens du terme. Et enfin, Alain Berset, un conseiller fédéral très exigeant à la stature d’homme d’État, et avec qui la collaboration a été très fiable et productive.

Comment la politique sociale a-t-elle évolué au cours de votre activité à l’OFAS ? Y a-t-il eu des changements qualitatifs ? Est-il devenu plus difficile de faire accepter des dossiers de politique sociale par le Parlement et, le cas échéant, par le peuple, ou les défis sont-ils restés les mêmes au cours de ces trente dernières années ?
Le processus de décision politique est devenu nettement plus difficile ces dernières années. Cela est dû notamment au fait que le contexte n’est plus aussi favorable. Je suis convaincu que, dans une démocratie référendaire, les dossiers ne peuvent aboutir que si les mesures de consolidation sont compensées par un nombre suffisant de points positifs, ce qui permet que le dossier soit approuvé comme un paquet global par une majorité du peuple. Ainsi, le relèvement de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans dans la 10e révision de l’AVS n’aurait eu aucune chance de passer sans une amélioration claire de la situation des femmes dans l’AVS au moyen du splitting des rentes et des bonifications pour tâches éducatives. Dans la politique sociale, la marge de manœuvre pour proposer des paquets de révision équilibrés est devenue nettement plus étroite du fait de l’évolution démographique.

Mais le vieillissement démographique est-il vraiment la seule cause de ces difficultés ? Suffit-il à expliquer l’échec de Prévoyance vieillesse 2020, qui avait fait l’objet d’une coordination minutieuse et qui contenait des mesures équilibrées ainsi que des avantages et des inconvénients pour tous les groupes ?
Pour moi, la démographie est décisive dans le fait qu’il est devenu plus difficile d’intégrer dans un projet de réforme de la prévoyance vieillesse des mesures de consolidation et des améliorations. Le caractère équilibré d’un projet ne garantit toutefois pas à lui seul son succès. La différence entre la 10e révision de l’AVS, qui a été un succès, et Prévoyance vieillesse 2020, qui a été un échec, résidait dans la différence de dynamique au sein du Parlement. Lors du traitement de la 10e révision de l’AVS, il y avait dans les deux Chambres un groupe de parlementaires issus de tous les partis, qui s’était fixé comme objectif prioritaire de faire passer le droit des femmes à leur propre rente. Pour Prévoyance vieillesse 2020, il a manqué ce type de collaboration ciblée et transpartisane au Parlement et surtout après la fin des travaux parlementaires. La situation a été marquée par une courte majorité PS, PDC et Verts, qui n’a finalement pas réussi à s’imposer contre l’opposition décidée de deux partis bourgeois. Pour une réforme de cette ampleur, il est essentiel que trois grands partis au moins tirent à la même corde. Et, comme le montrent les deux votations populaires évoquées, il est très difficile de gagner une révision dans le domaine des assurances sociales sans le soutien de la gauche.

Les mesures d’un projet ou les rapports de force au sein des Chambres sont-ils les seuls facteurs décisifs d’une collaboration réussie entre l’exécutif (ou l’administration) et le Parlement ou y a-t-il d’autres aspects essentiels pour le succès d’un projet ? Les partis et leurs dirigeants n’agissent-ils pas de manière plus stratégique qu’avant, par exemple ?
La seule lecture des journaux montre clairement que le discours politique s’est durci au cours des vingt dernières années ; pas seulement dans le domaine des assurances sociales, mais de manière générale. La relation entre le Parlement et l’administration n’a pas beaucoup changé. Selon moi, et c’est aussi l’écho que j’en ai, le travail de l’OFAS est apprécié. Par contre, le rythme de travail a considérablement changé par rapport à l’époque où les messages étaient encore écrits sur une Hermes Precisa et reproduits au moyen d’une machine à polycopier à alcool.

Les difficultés pour mettre en place des projets équilibrés et créer des majorités politiques ne sont pas un bon présage pour le futur. S’il faut trois grands partis politiques pour faire passer un paquet équilibré, il sera certainement difficile de mener à bien le projet de réforme AVS 21, qui sera débattu par le nouveau Parlement.
Fondamentalement, je crois au bon sens de l’humain et du Parlement. Le succès de la votation du 19 mai 2019 sur la loi fédérale relative à la réforme fiscale et au financement de l’AVS (RFFA) a montré qu’il était possible de faire accepter deux projets complexes par le peuple. À ce sujet, il a aussi été intéressant de suivre les récentes votations populaires sur les projets fiscaux cantonaux. Les projets qui ne contenaient pas de mesures apportant quelque chose aux gens ont été rejetés par les votants. Au niveau fédéral, relier la réforme fiscale avec une contribution au financement de l’AVS a permis d’assurer une majorité très confortable.

Comment ont évolué les autres assurances sociales au cours des vingt dernières années ?
Des problèmes similaires à ceux du 1er pilier se posent dans la prévoyance professionnelle. Lors de la 1re révision de la LPP, il y a près de quinze ans, il a été possible d’adapter une première fois le taux de conversion. Une deuxième adaptation est urgente. J’espère que la proposition des partenaires sociaux sera maintenue ; je suis confiant sur ce point.

L’approbation du projet RFFA est-elle, selon vous, une preuve qu’il est encore possible de réformer ?
Oui, très clairement. Il est encore possible de créer des majorités. Ce qui me semble important, que ce soit pour la RFFA ou pour la prévoyance professionnelle, c’est que les partenaires sociaux soient en mesure de se mettre d’accord sur le développement de la sécurité sociale. C’est aussi ce qui a conduit à l’élaboration du projet de prestation transitoire pour les chômeurs âgés. Nous verrons prochainement si cette proposition est suffisamment solide pour être acceptée par le Parlement. Mais je suis optimiste.

Il ne s’agira cependant que d’une politique des petits pas. Est-ce que les avancées visionnaires, comme on en doit à Hanspeter Tschudi, appartiennent désormais au passé ? Même le projet de réforme AVS 21 semble un peu moins visionnaire que Prévoyance vieillesse 2020. Le pragmatisme est-il la solution ? Doit-on se contenter de ce qu’on est sûr d’obtenir ?
Le développement de la prévoyance vieillesse peut être comparé à une excursion en montagne. Je fais un pas après l’autre, je suis attentif à l’endroit où je mets les pieds, et je suis content une fois que j’atteins le sommet. L’histoire de l’AVS montre aussi qu’il ne s’est pas passé grand-chose entre 1948 et 1972, excepté l’adaptation des rentes à l’évolution des salaires. Pendant la période d’essor économique, l’AVS a généré des excédents massifs. Les prestations, mais aussi les cotisations, ont par conséquent pu être doublées. Cependant, la 9e révision de l’AVS, qui a introduit l’adaptation des rentes à l’indice mixte, comportait déjà des aspects négatifs, comme la réduction de certaines prestations. Et même la 10e révision de l’AVS, qui a introduit le droit des femmes à leur propre rente, le splitting et les bonifications pour tâches éducatives, cachait une « couleuvre », à savoir le relèvement de l’âge de la retraite pour les femmes. L’objectif principal doit être maintenant de consolider les bases de l’AVS pour les prochaines années. Ce n’est qu’ensuite que l’on pourra s’attaquer à la prochaine étape, qui pourra peut-être permettre de penser de manière visionnaire.

Certaines forces politiques reprochent au Conseil fédéral, dans son traitement des questions de prévoyance vieillesse, de se contenter de poser un emplâtre sur une jambe de bois. Est-ce qu’un couplage de l’âge de la retraite à l’espérance de vie, comme le demandent ces forces politiques, aurait des chances d’être soutenu par une ­majorité ?
Je ne suis pas un prophète. Mais lorsque l’on est blessé, un pansement me semble déjà une première mesure judicieuse. Actuellement, nous avons besoin d’une solution pour un problème urgent : nous devons veiller à ce que le fonds AVS ne soit pas utilisé pour payer les rentes en cours. L’AVS doit reposer sur une base solide jusqu’en 2030. C’est notre objectif premier, notre plus haute priorité. Sur ce point, je m’en tiens au proverbe « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » !

Nous en revenons aux défis démographiques, qui représentent l’un des obstacles les plus urgents à franchir en matière de politique sociale.
Une évolution visionnaire pour l’AVS serait de dépasser la querelle politique sur l’âge de la retraite adéquat, car chacun et chacune travaillerait aussi longtemps qu’il le souhaite, selon ses possibilités et ses envies. Mais pour cela, il faut que les employeurs proposent des offres adaptées. De telles offres demeurent pour le moment très limitées, et même les assurés doivent revoir leur manière de penser.

Si nous restons du côté des visions, n’est-il pas visionnaire d’envisager une adaptation de l’âge de la retraite à l’évolution de l’espérance de vie ?
Oui, cela peut être visionnaire. Cependant, il faudrait une mise en œuvre conséquente. L’approche scandinave, qui est souvent considérée comme visionnaire, est souvent mal comprise. En effet, elle ne consiste pas à adapter l’âge de la retraite à l’espérance de vie, mais plutôt à prendre en compte un facteur démographique dans la formule des rentes. Si nous regardons plus précisément le cas de la Suède, où l’âge de la retraite est quasiment aboli, alors il faut aussi regarder la manière dont est conçue la protection des personnes âgées contre le licenciement, les conditions générales de travail ou encore l’organisation du congé parental. Nous ne pouvons pas nous contenter de n’organiser que la fin de la carrière professionnelle de manière visionnaire. Il faut plutôt se pencher sur l’ensemble de la vie professionnelle.

Cela est-il une lacune de notre système ?
Nous avons un marché du travail libéral, ce qui présente des avantages. Mais c’est aussi pour cela que nous sommes plus prudents en ce qui concerne la définition de l’âge de la retraite. Cela me paraît judicieux et justifié.

Quand on regarde votre carrière à l’OFAS, on peut voir qu’il y a eu une période pendant laquelle les réformes de l’AI se sont succédé. Maintenant, tout est devenu d’un coup beaucoup plus lent : cela fait deux ans que le message relatif au Développement continu de l’AI est traité au Parlement.
C’est bon signe : cela signifie que le feu au sein de l’AI a été éteint et qu’il s’agit maintenant d’éviter qu’il se rallume. C’est justement l’objectif du paquet de mesures qui est actuellement discuté par le Parlement et qui est en passe d’être adopté. Le changement de paradigme de l’AI, à savoir le passage d’une assurance de rentes à une assurance de réadaptation, est renforcé avec les mesures proposées. L’AI n’est plus dans la situation délicate du début des années 2000, lorsque l’endettement explosait. Nous disposons à nouveau de plus de temps pour le développement de l’assurance. Je trouve que c’est encourageant.

Quelles sont les perspectives générales de la sécurité sociale, de l’aide sociale ou du congé paternité par exemple ? Que nous réserve le futur ?
La Suisse n’est pas un cas isolé. La politique sociale est actuellement un dossier sensible dans toute l’Europe. Il est difficile de dégager des majorités dans ce domaine, et plus encore de trouver un consensus. Mais la situation n’est pas si défavorable en Suisse. Nous disposons d’une sécurité sociale solide et j’en suis fier. Étant donné le niveau de couverture actuel, un renforcement massif n’est pas nécessaire, contrairement à ce qui était le cas au milieu des années 70, à l’époque du conseiller fédéral Hanspeter Tschudi. Et d’ailleurs : le congé de paternité de deux semaines pourrait devenir une réalité dès l’année prochaine. Un petit pas qui a toute son importance.

Nous avons au total huit assurances sociales. Chacune a sa propre logique, ses propres structures. Le système dans son ensemble est-il encore maîtrisable ? N’est-il pas devenu trop complexe ou y aurait-il moyen de le simplifier ? Que pensez-vous du revenu de base inconditionnel qui, d’après ses partisans, rendrait inutiles certaines des assurances et certains des mécanismes d’assurance existants ?
Une petite précision tout d’abord : je fais partie des personnes jetées dans l’eau froide de la LPGA. En effet, j’ai collaboré à l’élaboration de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales (LPGA). Cela a pris 18 ans pour n’aboutir qu’à une harmonisation formelle de notions générales. Par conséquent, mon optimisme en matière de simplification et d’harmonisation a atteint ses limites. Je ne crois pas qu’un revenu de base inconditionnel ait une chance dans un avenir proche en Suisse. Mais comme je l’ai dit, je ne suis pas un prophète, seulement le directeur d’un office fédéral.

Oui, mais devrions-nous aller dans la direction d’un revenu de base inconditionnel ou, autrement dit : le système de sécurité sociale trop complexe n’est-il désormais plus que difficilement maîtrisable ?
Pour être sincère, non. Il est, par exemple, possible de bien piloter l’AVS ou l’AI. Si la prévoyance professionnelle est certes compliquée au niveau de la loi, n’oublions pas que la majeure partie des caisses de pension sont actives dans le régime surobligatoire. Dans ce domaine, ce sont les conseils de fondation qui sont compétents pour les questions de pilotage et de stratégie. Le système est suffisamment solide grâce à leur excellent travail. Ces dernières années, malgré la ­faiblesse persistante des taux d’intérêt, il n’y a eu aucune faillite de caisses de pension à cause de la crise des placements, si bien que les recours au fonds de garantie, qui couvre l’avoir de prévoyance en cas d’insolvabilité, sont rares. Le système de santé, et donc l’assurance-maladie, sont assurément très complexes. D’après ce que j’entends de nos collègues de l’OFSP, le pilotage dans ce domaine constitue un réel défi. Mais il est très difficile de réformer un système qui s’est mis en place au fil du temps et de parvenir à améliorer la coordination et le pilotage dans ce domaine.

Cela signifie que les assurances, prises individuellement, peuvent être bien maîtrisées ; mais qu’en est-il lorsque l’on regarde le système dans son ensemble ? Dans la réalité politique, il arrive encore et toujours qu’un changement minime sur un point particulier ait des répercussions dans de nombreux autres domaines. Combien de temps pouvons-nous encore tenir comme ça ?
La flexibilité est justement l’une des forces de notre système. Cela signifie que les effets des changements d’un système sur les autres peuvent être relativement bien maîtrisés. L’une des tâches des responsables politiques est donc, avec l’administration, de mettre en place des interactions judicieuses. À titre d’exemple, l’OFAS discute actuellement avec l’OFSP de la création de synergies dans le domaine des médicaments. Ainsi, il n’est pas très judicieux que l’OFAS crée dans l’AI un centre compétent pour examiner et fixer le prix de certains médicaments pour les enfants jusqu’à 20 ans alors qu’il existe déjà, au sein de l’OFSP, une section qui est en charge de la liste des spécialités de l’assurance-maladie. Cela prouve qu’il existe une certaine flexibilité, aussi sur le plan organisationnel, dans les assurances sociales.

Où voyez-vous la marge de manœuvre dans le financement des soins ? Comment pourrait-on libérer les PC de la pression constante qu’exercent les frais de soins et d’assistance non couverts ? Une assurance des soins pourrait-elle être une solution ?
Les coûts pour le financement des soins ne sont pas répercutés sur les PC, mais sur les contribuables. Une assurance des soins devrait être supportée par les assurés. C’est la raison pour laquelle je suis un grand partisan du système actuel. Je ne crois pas qu’une assurance des soins financée par les cotisations serait aussi sociale que le système actuel des PC financées par les impôts.

Après les assurances sociales, changeons de sujet et intéressons-nous à l’activité de l’administration. Nous avons déjà parlé de la machine à écrire qui a été remplacée par l’ordinateur. Y a-t-il eu d’autres changements marquants ?
Oui, bien sûr. Au cours des trente dernières années, l’administration est devenue bien plus souple et diversifiée. Je suis content de voir la manière de travailler et l’approche du travail au sein de l’OFAS. Lorsque j’y suis entré en 1982, nous étions une quarantaine de personnes dans la division AVS : une juriste, 2 secrétaires et 37 hommes. Travailler à temps partiel n’était pas envisageable. Ceux qui avaient entendu parler de ce concept savaient qu’ils n’avaient aucune chance d’avoir un temps partiel dans l’administration. Les femmes étaient par conséquent nettement sous-représentées au sein de l’administration. C’est le conseiller fédéral Flavio Cotti qui a donné de grandes impulsions en introduisant un principe dit de « motivation », à savoir qu’à compétences égales, c’est une femme qui devait être engagée et non un homme. Toute dérogation à ce principe devait être motivée. Le nombre de femmes à l’OFAS n’a alors cessé d’augmenter, si bien que la part des femmes dans l’effectif du personnel est maintenant plus importante que celles des hommes. Et ces femmes portent désormais des responsabilités et contribuent de manière déterminante aux différents projets en cours. Je ne sais pas comment nous aurions pu mettre en œuvre nos projets clés sans elles. Cette part grandissante de femmes a rendu tout le monde plus flexible et plus ouvert. La routine des fonctionnaires qui existait lorsque je suis arrivé, en 1982, a été balayée. Cette grande évolution ne concerne pas seulement l’approche du travail, mais aussi l’infrastructure. La productivité actuelle de l’office ne peut pas être comparée à celle des années 80.

Cette évolution a-t-elle conduit à une nouvelle conception du travail au sein de l’administration ? Si oui, cela est-il lié à la suppression du statut de fonctionnaire ?
Non, cela n’est sûrement pas dû au changement de statut, mais probablement au fait que la Confédération est devenue un employeur plus attractif pour les jeunes. Lorsque je suis entré à l’OFAS, j’étais le plus jeune et le deuxième plus jeune avait quinze ans de plus que moi. L’âge moyen du personnel était relativement élevé et celui ou celle qui entrait dans l’administration y faisait toute sa carrière professionnelle. Effectuer toujours les mêmes tâches dans le cadre des mêmes processus conduit à un certain immobilisme. Certes, on connaissait son domaine sur le bout des doigts et on possédait une réelle expertise. Mais ce type d’environnement de travail n’est pas vraiment générateur d’innovations. Aujourd’hui, la fluctuation au sein du personnel est bien plus grande et il y a toujours plus de jeunes collaborateurs qui sont engagés, ce qui requiert une certaine ouverture d’esprit et de la distance par rapport à sa propre manière de travailler. Cela fait aussi du bien à l’entreprise.

En ce qui concerne les femmes, l’OFAS engage certes plus de femmes, mais toujours pas assez à des postes de direction.
En effet, il y a peu de femmes à la tête des domaines à l’OFAS, mais, pour ce qui est du corps intermédiaire, l’office fait plutôt bonne figure ; et pour la direction des domaines, nous nous situons au-dessus de la moyenne de l’administration fédérale. Grâce au programme d’encouragement « Plus de femmes cadres à l’OFAS ! », l’office veut encourager les collaboratrices à s’inspirer de parcours de femmes qui réussissent afin de leur donner envie d’occuper une fonction de cadre et de se lancer. Cela devrait nous permettre de stabiliser ou d’augmenter la part de femmes à tous les niveaux d’encadrement.

Comment voyez-vous votre avenir professionnel ? Envisagez-vous une « carrière en arc », comme cela est de plus en plus souvent le cas des personnes qui réussissent ?
Non, je ne conçois pas ma carrière de cette façon. Les sept années que j’ai passées dans l’économie privée m’ont bien plu et j’ai beaucoup appris. Je suis malgré tout revenu très volontiers dans l’administration lorsque l’occasion s’est présentée de diriger un office fédéral. Maintenant, je suis directeur d’office depuis un peu plus de sept ans. À 64 ans, je souhaiterais, l’année prochaine, retourner dans l’économie privée. Je n’ai encore aucun projet concret : pour le moment, mes nombreuses tâches de directeur d’office ne me laissent pas le temps de m’occuper de mon futur, et je vais assumer sérieusement et avec engagement la responsabilité des dossiers en cours, et ce jusqu’à la dernière minute. Ensuite, je ne vais certainement pas m’installer confortablement dans un rocking-chair et feuilleter des prospectus de voyage. Je vais au contraire assumer à nouveau des tâches passionnantes. Je veux aussi réaliser des projets personnels, comme apprendre l’espagnol, voyager et faire des choses que je n’ai pas pu faire ces vingt dernières années, faute de temps.

Votre savoir-faire va-t-il donc être de nouveau utilisé pour modeler la sécurité sociale ?
Je serais ravi que mes compétences professionnelles continuent à être appréciées et demandées !

L’entretien a été mené par Rolf Camenzind, chef de la communication de l’OFAS, et Suzanne Schär, rédactrice en chef de la revue.