La politique sociale au début de la 51e législature

Conciliation entre vie de famille et vie professionnelle, petite enfance, protection de la ­jeunesse face aux médias, lutte contre la pauvreté : autant de thèmes qui vont marquer la politique sociale de la Confédération ces prochaines années. Pour la sécurité sociale, ces tâches de soutien sont tout aussi importantes que les grands projets de réforme des assurances sociales qui occupent le devant de la scène.
Gabriela Felder, Yvonne Haldimann, Anna Liechti, Géraldine Luisier Rurangirwa, Michelle Jenni, Marc Stampfli
  |  11 mars 2020
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La plupart des tâches de politique sociale qui ne sont pas directement liées à l’assurance des conséquences économiques de l’âge, de l’invalidité, de la maladie, de l’accident, du chômage, de la maternité, de la condition d’orphelin ou du veuvage relèvent de la compétence des cantons et des communes. C’est la raison pour laquelle dans la politique familiale, la politique de l’enfance et de la jeunesse, la politique de la vieillesse et des générations, mais aussi en matière de couverture sociale et d’intégration, les activités de la Confédération sont bien délimitées et ne s’inscrivent que dans un rôle de soutien, de complémentarité ou de régulation (voir tableau T1). Le domaine Famille, générations et société (FGS) de l’Office fédéral des assurances sociales est responsable des tâches de la Confédération en la matière.

Les projets, programmes et initiatives traités durant la législature écoulée reflètent l’étendue du champ d’activité du domaine FGS. Certains d’entre eux, qui s’étendent aussi sur la législature actuelle, sont présentés dans ce qui suit.

Politique familiale Le Conseil fédéral a défini les champs d’action actuels en matière de politique familiale dans son rapport en réponse au postulat Tornare « Politique de la famille » (13.3135) (Conseil fédéral 2015). Outre l’encouragement général des familles et l’adaptation du droit de la famille et du droit des successions, le Conseil fédéral entend surtout lutter contre la pauvreté des familles et assurer leur sécurité économique. Dans ce cadre, il met l’accent sur l’encouragement de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, une mesure censée remédier en même temps à la pénurie de personnel qualifié (Rapport sur les familles 2017). C’est dans cette idée que le Conseil fédéral a décidé de compléter les aides financières à l’accueil extrafamilial pour enfants par des aides financières destinées à l’augmentation des subventions cantonales et communales ainsi qu’à des projets d’optimisation de l’offre de places d’accueil (Battagliero 2015).

Nouvelles aides financières pour l’accueil ex­trafamilial des enfants En juin 2016, le Conseil fédéral a adopté le message relatif à la modification de la loi fédérale sur les aides financières à l’accueil extrafamilial pour enfants (Conseil fédéral 2016) et a demandé au Parlement un crédit d’engagement d’environ 100 millions de francs pour le mettre en œuvre. Le Parlement a adopté cette révision en juin 2017 et celle-ci est entrée en vigueur le 1er juillet 2018. La durée de validité de la loi est limitée à cinq ans. Avec cette réforme, la Confédération a créé deux nouveaux instruments pour encourager l’accueil extrafamilial pour enfants.

D’une part, elle souhaite inciter les cantons et les communes à augmenter les subventions destinées aux frais de garde à charge des parents qui exercent une activité professionnelle. Chaque canton peut ainsi bénéficier pendant trois ans d’une contribution de la Confédération aux subventions versées. Cette contribution couvre 65 % de l’augmentation des subventions au cours de la première année, 35 % au cours de la deuxième année et 10 % au cours de la troisième année. Grâce à ce système de versements dégressifs, la Confédération se retire progressivement du cofinancement, ce qui permet aux cantons et aux communes d’échelonner dans le temps la hausse de leur budget.

D’autre part, la Confédération participe aux coûts de projets qui visent à améliorer l’adéquation entre les offres d’accueil des enfants à l’échelle régionale ou communale et les besoins des parents exerçant une activité professionnelle. Dans le domaine parascolaire, ces aides peuvent par exemple bénéficier à des projets visant à créer une infrastructure d’accueil à journée continue, organisées conjointement avec les écoles. La Confédération soutient également des projets qui permettent une utilisation plus souple des offres (p. ex. des jours de prise en charge variables ou irréguliers) ou qui offrent des places d’accueil en dehors des horaires habituels. Les aides financières versées par la Confédération pour la planification de ce type de projets couvrent 50 % des frais.

Initiative populaire pour un congé de ­paternité L’initiative populaire « Pour un congé de paternité raisonnable – en faveur de toute la famille » a abouti en août 2017. Elle demande que tous les pères exerçant une activité lucrative aient droit à un congé de paternité d’au moins quatre semaines et perçoivent une allocation pour perte de gain durant leur absence. À cette fin, la Confédération devrait instaurer une assurance-paternité. L’allocation pour perte de gain devrait être identique à celle de l’assurance-maternité et représenter 80 % du revenu moyen de l’activité lucrative que le père touchait avant la naissance de l’enfant, mais 196 francs par jour au maximum. L’assurance-paternité serait intégrée au régime des allocations pour perte de gain (APG). Selon les estimations de l’OFAS, le congé de paternité coûterait au maximum environ 460 millions de francs par année, ce qui correspond à un taux de cotisation APG de 0,11 %.

Le Conseil fédéral et le Parlement rejettent l’initiative. Le Parlement a élaboré un contre-projet indirect prévoyant un congé de paternité payé de deux semaines. L’indemnisation serait organisée de manière analogue à ce que prévoyait l’initiative populaire, les pères ne bénéficiant toutefois que de deux semaines de congé payé au maximum, au lieu des quatre semaines demandées par l’initiative. Les coûts estimés du congé prévu par le contre-projet s’élèveraient à environ 230 millions de francs par année. En septembre 2019, le Parlement a adopté la loi correspondante (Deplazes 2020).

Suite à cela, le comité d’initiative a retiré son initiative à condition que la loi pour un congé de paternité de deux semaines ne soit pas refusée à l’issue d’un référendum. Après que le référendum contre la loi du « Comité interpartis contre la hausse constante des ponctions sur les salaires » a abouti, la loi sera soumise au vote en automne 2020.

Politique de l’enfance et de la jeunesse Se fondant sur l’art. 41 de la Constitution fédérale (Cst.), sur la Convention de l’ONU relative aux droits de l’enfant (RS 0.107) et sur la stratégie du Conseil fédéral pour une une politique suisse de l’enfance et de la jeunesse (Conseil fédéral 2008), la politique de l’enfance et de la jeunesse de la Confédération repose sur une politique de protection, d’encouragement et de participation.

Parmi les thèmes principaux en matière de politique de l’enfance et de la jeunesse de la législature en cours figurent la petite enfance et la protection des jeunes face aux films et aux jeux vidéo.

Petite enfance Les années de la petite enfance jouent un rôle décisif quant à l’acquisition de compétences qui resteront essentielles toute la vie. Cependant, dès l’entrée à l’école enfantine, de grandes disparités de développement sont déjà visibles entre les enfants. Ces dernières années, de nombreux acteurs se sont donc penchés sur la question de l’encouragement précoce, en développant des projets et des offres et en créant des structures dans ce domaine. En 2019, le Conseil national a transmis deux postulats (CSEC-N 19.3417 et Gugger 19.3262) qui demandent au Conseil fédéral d’élaborer une stratégie en vue de renforcer et de développer l’encouragement précoce.

En 2017 déjà, le conseiller national Aebischer avait déposé une initiative parlementaire (17.412) demandant un renforcement de l’encouragement précoce à l’âge préscolaire, afin d’augmenter l’égalité des chances au moment de la scolarisation obligatoire. La Commission de la science, de l’éducation et de la culture du Conseil national (CSEC-N) souhaite la mettre en œuvre dans le cadre de la loi sur l’encouragement de l’enfance et de la jeunesse (LEEJ, RS 446.1 ), au moyen d’un financement incitatif à durée déterminée versé aux cantons. Il s’agit de soutenir ces derniers dans leurs efforts pour mettre sur pied une offre dans le domaine de la petite enfance et pour encourager la coordination et la mise en réseau des acteurs publics et privés. Cet avant-projet était en consultation jusqu’au 29 novembre 2019. Après avoir pris connaissance des résultats de la procédure de consultation, la commission a soumis le projet de loi et l’arrêté concernant le financement au Conseil national fin février 2020. La commission a pris connaissance des résultats de la procédure de consultation avant de soumettre le projet de loi au Conseil national.

Protection de la jeunesse en matière de films et de jeux vidéo Il est difficile de concevoir aujourd’hui un monde sans médias numériques. Les enfants et les jeunes les utilisent quotidiennement durant leur temps libre, à l’école et sur leur lieu de formation. Afin de mieux protéger les enfants et les jeunes contre les contenus médiatiques pouvant nuire au bon développement de leur personnalité, le Conseil fédéral a chargé en mai 2015 le DFI, et par là l’OFAS, d’élaborer un projet pour une loi fédérale sur la protection des mineurs en matière de films et de jeux vidéo (LPMFJ) (DFI 2019). La protection des mineurs dans ce domaine est en effet règlementée de manière très disparate en Suisse. La réglementation actuelle présente différentes lacunes et faiblesses, et se heurte à des problèmes de mise en œuvre. La nouvelle loi, dont l’avant-projet a été mis en consultation entre mars et juin 2019, doit créer des règles uniformes et contraignantes pour la protection des mineurs contre des contenus inadaptés à leur âge dans les films et les jeux vidéo.

L’avant-projet prévoit que les organisateurs qui rendent accessibles des films ou des jeux vidéo lors d’événements publics, les prestataires de films et de jeux vidéo sur supports audiovisuels ainsi que les prestataires de services à la demande (p. ex. Netflix) soient tenus de procéder à l’indication d’un âge minimal et à un contrôle de l’âge. La mise en œuvre de la loi est prévue sous forme d’une corégulation. Les acteurs des secteurs du film et du jeu vidéo pourront s’associer par secteur au sein d’une organisation de protection des mineurs et définir des systèmes de classification d’âge et des règles en matière d’indication de l’âge minimal et de contrôle de l’âge dans une réglementation relative à la protection des mineurs. Le Conseil fédéral pourra déclarer cette réglementation de force obligatoire pour tous les acteurs. Les prestataires de services de plateforme (p. ex. YouTube) seront également tenus de prendre des mesures dans ce sens. Les organisations de protection des mineurs veilleront elles-mêmes au respect des règlementations relatives à la protection des mineurs, tandis que les cantons et l’OFAS seront responsables du contrôle du commerce en ligne, des services à la demande et des services de plateforme. Les cantons seront responsables des procédures pénales.

Le Conseil fédéral prendra connaissance des résultats de la procédure de consultation dans le courant de l’année et rédigera ensuite le message à l’intention du Parlement.

Couverture sociale et intégration Les assurances sociales sont inscrites dans la Constitution fédérale (Cst.) en tant que tâche relevant à la fois de la Confédération et des cantons, tant dans les buts sociaux (art. 41, al. 2, Cst.) que dans les articles spécifiques qui leur sont consacrés au titre 3, chapitre 2, section 8. Quant à savoir à quel point ces assurances sont à même de garantir une couverture sociale suffisante, si des approches radicalement nouvelles sont nécessaires ou si des compléments aux assurances sociales existantes doivent être introduits, ce sont là des questions qui restent controversées. Les nouveaux défis liés aux changements démographiques, sociaux et économiques alimentent encore ces débats. L’écart entre la solution proposée par l’initiative populaire « Pour un revenu de base inconditionnel » et la solution choisie par la Confédération dans son programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, qui visaient toutes deux à rendre davantage justice au mandat constitutionnel d’assurer une protection sociale pour tous, y compris pour les groupes les plus vulnérables, illustre bien la diversité des approches possibles. L’initiative populaire « Pour un revenu de base inconditionnel » demandait une solution radicalement différente du système de couverture sociale actuel, puisqu’il s’agissait de le remplacer par une prestation uniforme et inconditionnelle de l’État. À l’inverse, le programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté de la Confédération entendait réunir, en collaboration avec les principaux acteurs du domaine de la prévention de la pauvreté, des connaissances spécifiques concernant les approches prometteuses en matière de lutte contre la pauvreté, et relier les expériences des acteurs publics et privés ainsi que des experts et des praticiens, afin de créer un réseau de mesures de prévention et de soutien encore plus performant, pouvant être utilisé surtout au niveau local et cantonal.

Initiative populaire « Pour un revenu de base inconditionnel »Le 5 juin 2016, le peuple par 77 % des voix et les cantons à l’unanimité ont rejeté l’inscription d’un revenu de base inconditionnel dans la Constitution fédérale. L’initiative avait été lancée en 2012 par un comité indépendant des partis politiques. Les auteurs entendaient déclencher un vaste débat de société sur le principe d’un nouveau contrat social. En découplant travail et moyens de subsistance, le revenu de base inconditionnel (RBI) aurait pour but d’assurer la dignité et la participation à la vie publique tout en libérant de la contrainte économique. Versé sans condition, il viendrait remplacer ou compléter les revenus d’activité. Dans leur argumentaire, les initiants articulaient le montant de 2500 francs par mois et par adulte (Guldimann et al. 2014).

Le Conseil fédéral et, à sa suite, le Parlement, puis les citoyennes et citoyens n’ont pas été convaincus par cette réforme radicale du système de protection sociale. Ils y ont opposé le risque d’effets très négatifs sur la marche de l’économie. Le financement du RBI aurait impliqué un énorme volume de redistribution et une augmentation considérable des impôts. La grande majorité de la population partageait ainsi la position du Conseil fédéral qui considère que le système actuel de sécurité sociale a fait ses preuves puisqu’il est à même de garantir le niveau de vie et la couverture sociale.

Prévention et lutte contre la pauvreté : du programme à la plateforme En Suisse, 660 000 personnes, dont 144 000 enfants, sont touchées par la pauvreté et vivent dans des situations précaires, ce qui représente une part importante de la population. Ces situations affectent particulièrement les chances de formation des enfants et des jeunes. Afin de renforcer la prévention de la pauvreté, la Confédération a lancé en 2014, en collaboration avec les cantons, les villes et les communes ainsi que des acteurs de la société civile un programme national contre la pauvreté d’une durée de cinq ans. Le programme a permis d’élaborer des connaissances de base solides concernant les chances de formation, l’intégration sociale et professionnelle ainsi que les conditions de vie générales des personnes touchées ou menacées par la pauvreté. Il a également permis d’identifier les bonnes pratiques, de mettre en réseau les différents acteurs et d’encourager l’échange des connaissances.

Sur la base de l’évaluation externe, le Conseil fédéral a tiré, en 2018, un bilan positif du programme (Conseil fédéral 2018). Au vu de la persistance du problème, il a toutefois décidé de poursuivre son engagement jusqu’en 2024 par le biais de la « Plateforme nationale contre la pauvreté », d’offrir d’autres possibilités d’échange des connaissances et de traiter de manière approfondie une sélection de thèmes prioritaires (www.contre-la-pauvrete.ch). De leur côté, les cantons, les villes et les communes s’engagent à examiner la mise en œuvre des recommandations élaborées dans le cadre du programme et à développer les mesures existantes (déclaration commune 2018). Parallèlement, ils poursuivent leur participation à la plateforme nationale contre la pauvreté qui crée les bases et les outils pratiques relatifs à quatre champs thématiques prioritaires. Jusqu’en 2024, la plateforme devrait fournir de nouveaux résultats sur les possibilités d’impliquer les personnes touchées par la pauvreté dans l’élaboration concrète des mesures, sur un meilleur soutien pour les adolescents et les jeunes adultes menacés de précarité lors des transitions, sur l’encouragement des adultes défavorisés à acquérir des compétences de base et des diplômes professionnels, et sur le renforcement ciblé des familles pauvres.

En 2024, le Conseil fédéral va tirer un nouveau bilan des résultats et des effets atteints, qu’il discutera dans le cadre d’une conférence nationale.

Collaboratrice scientifique, secteur Vieillesse, générations et société, FGS, OFAS.
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Lic. rer. soc., collaboratrice scientifique, secteur Questions 
de l’enfance et de la jeunesse, FGS, OFAS.
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Responsable suppléante du secteur Questions ­familiales, FGS, OFAS.
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Responsable suppléante du secteur Vieillesse, générations et société, FGS, OFAS.
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MA, collaboratrice scientifique, Questions 
de l’enfance et de la jeunesse, domaine Famille, 
générations et société, 
Office fédéral des assurances sociales (OFAS).
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Docteur ès lettres, responsable du secteur Questions familiales, FGS, OFAS.
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