La formation, la voie royale vers l’emploi

Pour continuer à garantir le succès de l’intégration professionnelle, l’aide sociale doit revoir ses priorités et privilégier l’encouragement des compétences et la formation. Le Bureau de la sécurité sociale de la Ville de Berne quitte les sentiers battus et profite pour cela d’expériences faites par les organisations partenaires de la Collaboration interinstitutionnelle (CII).
David Kieffer
  |  05 juin 2020
  • Aide sociale
  • Collaboration interinstitutionnelle (CII)
  • Réadaptation

En Suisse, près de la moitié (46,4 %) des adultes entre 25 et 64 ans dépendants de l’aide sociale n’ont aucun diplôme professionnel. La part des personnes sans formation professionnelle est donc trois fois plus élevée parmi les bénéficiaires de l’aide sociale que dans la population résidante (OFS 2019). En même temps, près de 30 % des bénéficiaires de l’aide sociale ont des compétences de base insuffisantes (OFS 2006). Ces chiffres laissent supposer un bagage éducatif plutôt modeste. C’est la raison pour laquelle, aujourd’hui, les services d’aide sociale tentent généralement de placer leurs clients dans des emplois peu qualifiés.

Or ce marché est en pleine mutation. Plusieurs grandes tendances dans le monde du travail, telles que la numérisation, l’automatisation et la délocalisation de travaux peu qualifiés dans des pays à faibles coûts salariaux, font disparaître des emplois peu qualifiés, une évolution qui s’est installée il y a plusieurs années et qui n’est pas prête à s’interrompre. Il est donc nécessaire de remettre en question l’approche courante de l’aide sociale qui consiste à orienter directement et aussi rapidement que possible les clients souvent peu qualifiés vers le marché de l’emploi. Si on veut continuer l’intégration professionnelle durable et réussie des bénéficiaires de l’aide sociale, il convient d’investir davantage dans l’amélioration de leurs compétences et dans leur formation. C’est un changement de paradigme dans un domaine dans lequel il était jusqu’ici rare que des personnes de plus de 25 ans bénéficient d’un financement pour des formations ou des perfectionnements.

Aujourd’hui, l’encouragement des compétences de base et des qualifications professionnelles dans l’aide sociale est discuté au niveau fédéral. En 2018, la Conférence suisse des institutions d’action sociale (CSIAS) a lancé conjointement avec la Fédération suisse pour la formation continue (FSEA) une offensive de formation continue intitulée « Un emploi grâce à une formation » qui vise à permettre aux bénéficiaires de l’aide sociale de suivre une formation continue.

L’approche de la ville de Berne Cela fait plusieurs années que le Bureau de la sécurité sociale de la Ville de Berne attache beaucoup d’importance à l’encouragement des compétences et des qualifications des bénéficiaires de l’aide sociale. Ces deux thèmes constituent d’ailleurs un point fort de la stratégie 2018 à 2021 de la Ville de Berne pour promouvoir l’intégration professionnelle et sociale. La Ville de Berne investit près de 2,3 millions de francs dans la mise en place et dans le pilotage d’offres d’encouragement adéquates.

Permettre à un demandeur d’emploi bénéficiaire de l’aide sociale de réaliser son potentiel et de suivre une formation professionnelle est le meilleur moyen de mettre fin durablement à sa dépendance de l’aide sociale. De nombreux bénéficiaires de l’aide sociale ne sont cependant pas à même de suivre une formation professionnelle. C’est pourquoi il importe d’instaurer des parcours de formation moins exigeants que celui de la formation professionnelle et de les utiliser de manière ciblée. Le Bureau de la sécurité sociale de la Ville de Berne a développé, à cette fin, un modèle de formation fondé sur quatre échelons (voir graphique G1). Pour chaque échelon, le modèle définit un objectif d’encouragement prioritaire et des offres de formation ciblées. L’objectif de cette approche est de former les bénéficiaires de l’aide sociale compte tenu de leur potentiel et à un échelon qui leur est accessible.

Actuellement, la Ville de Berne mène des projets pilotes pour élaborer des cours destinés à favoriser l’acquisition de compétences de base et des compétences de la vie courante, ainsi que pour mettre en place des cours spécialisés d’une durée de six mois dans la restauration et dans l’entretien. Les premières expériences sont encourageantes : les différentes approches de formation du modèle échelonné semblent être efficaces pour une partie des bénéficiaires de l’aide sociale et les cours spécialisés en particulier permettent d’augmenter leurs chances de trouver un emploi. En outre, les cours de formation ont des effets qui vont au-delà de l’acquisition de connaissances à proprement parler, car ils aident les participants à améliorer leur confiance en soi, tout en accroissant leur optimisme et leur motivation, ce qui peut leur insuffler une dynamique positive.

Prérequis pour intensifier la formation dans l’aide sociale Pour que le changement de paradigme dans l’aide sociale vers un accent accru sur la formation soit couronné de succès, il ne suffit pas de créer des offres d’encouragement adéquates. Premièrement, il doit exister une volonté politique, car la mise en place et l’organisation d’offres de formation requièrent des investissements. Deuxièmement, il est nécessaire de développer les processus existants d’intégration professionnelle. Il importe avant tout que les services sociaux identifient au plus vite le potentiel de perfectionnement de leurs clients et qu’ils l’encouragent.

Pour cela, il faut tout d’abord disposer d’un outil d’évaluation systématique et professionnel qui permet d’identifier suffisamment tôt le potentiel existant. Ensuite, il faut mettre l’accent sur l’orientation vers les compétences du bénéficiaire de l’aide sociale tout au long du processus d’intégration professionnelle. De l’évaluation de son potentiel jusqu’à son placement sur le marché du travail en passant par sa formation, il faut à tout moment avoir conscience des compétences dont il dispose, des lacunes qu’il doit combler et des moyens qui lui permettront d’acquérir les compétences requises.

Tirer profit des expériences faites par les organisations partenaires de la CII S’il est assez nouveau pour l’aide sociale de renforcer les investissements dans la formation et le développement des compétences, d’autres organisations partenaires de la CII ont déjà fait davantage d’expériences avec cette approche. Ainsi, l’Office de l’assurance-chômage du canton de Berne travaille depuis un certain temps déjà dans une optique de valorisation des compétences et utilise à cette fin une grille de compétences qui soustend l’ensemble du processus de recherche d’emploi (Fleischmann 2019). Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) emploie, quant à lui, un nouvel outil d’évaluation du potentiel des demandeurs d’emploi qui a été élaboré dans le cadre d’un projet CII (voir encadré).

Le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) a développé, en coopération avec des partenaires de la CII, un projet visant à développer des instruments d’évaluation des compétences (Laubscher 2019). Ces instruments sont à la disposition de tous les partenaires de la CII (en particulier services sociaux, ORP, AI) et notamment des services de gestion cantonaux et communaux, qui peuvent non seulement les utiliser, mais aussi les développer et les adapter à leurs besoins spécifiques. L’instrument comprend les quatre documents suivants (SEM 2020) :

  • Explications du procédé et guides d’utilisation des instruments
  • Formulaire «Résultats de l’évaluation du potentiel»
  • Formulaire «Stage d’observation»
  • «Bilan de compétences» : set d’instruments

Les instruments destinés à l’évaluation du potentiel sont une véritable « boîte à outils ». Celle-ci comprend des formulaires, des aides méthodologiques et des guides harmonisés entre eux. Ces aides indiquent les divers procédés (entretien, évaluation pratique, test, etc.) qui permettent de déterminer les ressources d’une personne. Ainsi, les compétences linguistiques ou la motivation professionnelle peuvent être évaluées non seulement par des tests, mais aussi lors d’entretiens ou sur la base des retours obtenus des cours d’intégration ou des stages effectués. Les évaluations pratiques servent à déterminer les aptitudes manuelles, de même que les compétences sociales et personnelles, comme la capacité à travailler en équipe, la fiabilité et la résistance au stress. Les responsables choisissent les outils appropriés suivant les ressources à évaluer pour une personne donnée à un moment donné. Enfin, la « boîte à outils » contient des formulaires permettant de documenter le résultat des évaluations. Sur cette base, le responsable du cas déterminera les prochaines étapes du plan d’intégration.

L’aide sociale peut donc tirer profit des expériences faites par les organisations partenaires de la CII pour s’orienter vers l’encouragement des compétences. Cela dit, la CII dispose encore d’un potentiel à exploiter en la matière : au-delà du transfert de connaissances, il serait souhaitable de mieux regrouper les efforts déployés par les diverses organisations partenaires de la CII qui visent à promouvoir les compétences et la formation, et de rendre disponibles les offres élaborées au-delà des limites institutionnelles. C’est la seule façon d’éviter les doublons inutiles dans les offres qui se situent en dessous du niveau de la formation professionelle.

Lic. phil. hist., wissenschaftlicher Mitarbeiter, Sozialamt Stadt Bern.
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