Emploi et productivité dans le domaine social

L’étude présente l’évolution de l’emploi dans le domaine social au cours des dernières ­années, examine différentes explications possibles, propose une projection de l’évolution ­future et ­discute différentes approches visant à accroître l’efficacité dans ce domaine.
Wolfram Kägi, Boris Kaiser, Donat Knecht, Michael Lobsiger
  |  03 mars 2017
    Recherche et statistique
  • Politique sociale en général

Ces dernières années, la demande en personnel qualifié a fortement augmenté dans diverses branches. C’est notamment le cas dans le domaine social, où l’offre en personnel qualifié n’arrive plus à suivre l’évolution de la demande. Pour contrer la pénurie qui sévit déjà et menace de s’aggraver, il faut donc réfléchir à des mesures d’intervention. En 2011, le Département fédéral de l’économie, de la formation et de la recherche a lancé l’initiative visant à combattre la pénurie de personnel qualifié. Le Département fédéral de l’intérieur a quant à lui été chargé de produire, en collaboration avec les cantons, un rapport sur l’emploi et la productivité dans le domaine social. Le présent article résume les principaux résultats de l’étude réalisée sur mandat de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS).

Une acception large du domaine social

Pour les besoins de l’étude, le domaine social est défini en fonction des branches économiques classées dans la nomenclature générale des activités économiques (NOGA 2008) de l’Office fédéral de la statistique (OFS). D’après cette classification, le domaine social recouvre l’hébergement médico-social et social (NOGA 87), l’action sociale sans hébergement (NOGA 88), ainsi que certains secteurs de l’administration publique et la sécurité sociale (NOGA 84). Il comprend également, conformément à l’usage dans les statistiques nationales et internationales, le secteur de l’hébergement médicalisé (NOGA 871000) et des maisons pour personnes âgées (NOGA 873001). La définition ainsi retenue par les statistiques couvre un champ bien plus large que le domaine social au sens strict et empiète en partie sur le domaine de la santé. Par ailleurs, certaines estimations reposent sur une classification plus fine des domaines professionnels basée sur la nomenclature suisse des professions (NSP 2000) de l’OFS.

Une progression de l’emploi supérieure à la moyenne De 1995 à 2013, le nombre d’emplois dans le domaine social est passé de 121 000 à 209 000 équivalents plein temps (EPT), soit une augmentation de 88 000 EPT ou 73 %. Durant cette même période, la progression de l’emploi (en EPT) dans l’économie globale a avoisiné les 16 %. A noter que l’estimation ci-dessus s’entend toutes professions confondues : elle prend en compte non seulement les personnes au bénéfice d’une formation spécialisée dans le social, comme les travailleurs sociaux, mais aussi les employés de commerce ou les cuisiniers qui travaillent dans ce domaine.

Les plus forts taux de progression de l’emploi sont enregistrés dans l’accueil de jour des enfants. Pour ce qui est des chiffres absolus, en EPT, l’augmentation la plus importante s’observe dans l’hébergement médicalisé, les maisons pour personnes âgées, les institutions pour personnes handicapées et pour toxicomanes, ainsi que dans les établissements pour les traitements psychosociaux (voir graphique G1).

Les professions de l’assistance sociale et de la santé dominent Deux types de profession prédominent : en 2014, environ 26 % des personnes actives dans le domaine social exerçaient une profession de l’assistance sociale et près de 24 %, une profession de la santé. Les 50 % restants travaillaient dans la restauration et l’économie domestique, exerçaient des professions commerciales et administratives ou étaient actifs dans l’enseignement, le nettoyage, les soins corporels, les sciences sociales, humaines et naturelles, ou encore le management.

L’emploi a augmenté de 75 % entre 1995 et 2003.

Un taux d’immigrés inférieur à la moyenne A l’image des autres branches économiques, le taux d’immigrés employés dans le domaine social (proportion d’actifs arrivés de l’étranger au cours des dix dernières années) a augmenté durant la période considérée (2003-2014), mais reste plus faible que la moyenne générale : de 2003 à 2014, ce taux est passé de 5,5 % à 7,6 % dans le domaine social, et de 6,8 % à 12,6 % dans les autres branches.

Facteurs déterminants de la progression de l’emploi La progression de l’emploi est principalement alimentée par les facteurs suivants :

  • l’évolution démographique ;
  • les changements sociaux (p. ex. la hausse du taux d’activité des mères et le besoin croissant en offres d’accueil extra­familial pour enfants) ;
  • les initiatives politiques (p. ex. le financement incitatif pour les offres d’accueil extrafamilial pour enfants).

Sur la base de ces éléments, l’étude a identifié des facteurs explicatifs qui ont pu être quantifiés et mis en corrélation avec l’évolution de l’emploi. Cette analyse purement descriptive ne permet pas d’établir de liens de causalité. Les données obtenues indiquent que la progression de l’emploi dans le domaine social est étroitement liée à la taille de la population, à la proportion de personnes âgées (plus de 64 ans ou plus de 80 ans), au taux d’activité des mères et à la performance économique (l’augmentation de la prospérité crée les conditions pour de meilleures prestations sociales).

L’amélioration des performances économiques et l’augmentation des revenus permettent aux pouvoirs publics d’étoffer et d’améliorer les prestations sociales. Elles accroissent également la demande pour les services proposés par des acteurs économiques privés.

L’évolution de l’emploi dépend du développement démographique, des mutations sociales et des initiatives politiques.

L’augmentation de l’emploi devrait se poursuivre Les projections établies sur la base des facteurs explicatifs identifiés montrent que, selon le scénario de référence de l’évolution de la population, le nombre d’EPT dans le domaine social devrait passer de 209 000 en 2013 à 317 000 en 2030, soit une augmentation de près de 52 %. Toujours selon le même scénario, les emplois dans le domaine social représenteront 7,4 % de tous les emplois en 2030, alors que cette proportion était de 5,4 % en 2013. En chiffres absolus, la progression sera particulièrement importante dans les institutions pour personnes handicapées, les institutions pour toxicomanes, les établissements pour les traitements psychosociaux, ainsi que dans l’hébergement médicalisé et les maisons pour personnes âgées. En pourcentage, c’est en revanche dans le domaine de l’accueil de jour des enfants que le taux de progression sera le plus marqué.

Pénurie de personnel qualifié L’étude analyse la situation en matière de personnel qualifié en fonction de l’évolution de l’emploi par le passé et de la progression attendue. Elle met en évidence une situation de plus en plus tendue dans le domaine social. La pénurie touche tout particulièrement les professions de l’assistance sociale et de la santé, qui sont les deux principaux secteurs professionnels du domaine social.

Différentes mesures de la productivité En statistique macro-économique, la productivité du travail est définie comme la création de valeur par unité de travail (EPT, p. ex.). Pour diverses raisons, cette définition ne fournit toutefois pas de résultats probants dans le domaine social. L’étude a par conséquent développé une mesure de la productivité qui puisse s’appliquer à un pan du domaine social : le nombre de journées de home par EPT. Si l’on tient compte des changements de la morbidité des pensionnaires de home (rapportée à leur âge) et de la structure de qualification du personnel, une analyse de l’hébergement médicalisé et des maisons pour personnes âgées montre que la productivité est restée stable au cours des dernières années.

Des besoins de personnel qualifié moins importants grâce aux gains de productivité ? Enfin, sur la base d’une revue de la littérature, d’entretiens avec des experts et d’ateliers, l’étude a identifié un ensemble de mesures envisageables pour obtenir des gains d’efficacité et de productivité dans le domaine social. Trois axes d’intervention ont été distingués : la réduction de la qualité, l’optimisation des ressources et l’innovation. Les mesures peuvent intervenir au niveau de l’Etat social (niveau macro), des institutions du domaine social (niveau méso) et des fournisseurs d’assistance sociale (niveau micro). En combinant les trois axes et les trois niveaux d’intervention, le cadre analytique offre en tout neuf champs d’action (voir graphique G2).

Selon des représentants des cantons et des institutions du domaine social, les mesures d’optimisation (en particulier les champs d’action D et E, graphique G2) sont celles qui recèlent le potentiel le plus important. De nombreuses mesures possibles ont été mentionnées. Au niveau macro, les bonnes pratiques seraient, p. ex., l’amélioration de la planification, une coordination plus poussée et un échange accru d’informations ; au niveau méso, il s’agirait de la concentration sur le cœur de métier, de l’exploitation d’économies d’échelle grâce au regroupement d’institutions ou d’une meilleure adéquation entre le savoir-faire et le niveau de formation des effectifs. Si les propositions sont moins nombreuses en ce qui concerne l’innovation, les mesures proposées sont notamment la mise en œuvre d’approches centrées sur la personne et le milieu social, de même que l’utilisation d’innovations techniques dans les secteurs de l’information, de la communication, du monitoring et de la robotique.

Mesures d’intervention au niveau de la Confédération et des cantons, et évaluation de ces mesures La question est ici de savoir comment l’Etat peut contribuer à améliorer la productivité dans le domaine social, soit par des mesures directes, soit en instaurant des conditions favorables. Plusieurs possibilités d’intervention sont envisageables : amélioration de la coordination et de la coopération entre les systèmes de prestations sociales et de soins, optimisation de la réglementation (les représentants de certaines branches estimant qu’il faut assouplir les règles, tandis que d’autres jugent nécessaire de les réviser ou de les améliorer), modification du mode de financement des prestations sociales et des institutions sociales, introduction de nouveaux mécanismes favorisant la concurrence, financement de la formation et du perfectionnement, soutien à l’innovation, notamment en investissant dans la recherche, et, enfin, évaluation de l’efficacité des mesures et identification de bonnes pratiques en Suisse comme à l’étranger. En signalant les secteurs du domaine social qui mobilisent actuellement le plus de ressources et ceux où des taux de progression particulièrement importants sont à attendre, l’étude constitue une aide pour définir les mesures prioritaires. Par ailleurs, elle montre que la corrélation entre les mesures que l’Etat pourrait prendre et les gains d’efficacité n’est pas évidente. Elle met le doigt sur un certain nombre de conflits d’objectifs (p. ex. entre la réduction des charges dans le domaine de l’accueil des enfants par des tiers et la volonté d’augmenter le taux d’activité des mères). Elle met également en garde contre la mise en application irréfléchie de mesures à première vue prometteuses.

Les démarches visant à stimuler la productivité sont tributaires d’interdépendances complexes et doivent concilier des objectifs en conflit.

Conclusions Si les tendances observées par le passé se poursuivent, le besoin en personnel continuera de croître de manière significative dans le domaine social. Trouver du personnel qualifié en nombre suffisant constitue un défi de taille pour la société. L’étude résumée dans le présent article montre que les possibilités d’optimisation et d’innovation sont nombreuses. Il importe cependant de faire preuve de réalisme quant aux effets des démarches visant à stimuler la productivité dans le domaine social. En effet, les mesures évoquées dans l’étude ne modifient en rien les facteurs qui exercent une influence sur la progression de l’emploi dans ce domaine : la croissance démographique et la structure d’âge dépendent d’évolutions à long terme, alors que la croissance économique et l’augmentation du taux d’activité des mères sont des phénomènes socialement souhaitables, d’autant qu’une plus forte participation des mères au marché de l’emploi fait partie intégrante de la stratégie de lutte contre la pénurie de personnel qualifié.

  • Bibliographie
  • Kägi, Wolfram ; Kaiser, Boris ; Lobsiger, Michael ; Knecht, Donat (2016) : Beschäftigung und Produktivität im Sozialbereich ; [Berne : OFAS]. Aspects de la sécurité sociale. Rapport de recherche n° 16/16 (en allemand, avec résumé en français).
Docteur ès sciences politiques, directeur, B,S,S. Volkswirtschaftliche ­Beratung.
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Docteur ès sciences économiques, responsable de projet, B,S,S. ­Volkswirtschaftliche Beratung.
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Travailleur social HES / MBA management social, chargé de cours et ­responsable de projet, Haute école spécialisée de Lucerne – Travail social.
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Docteur ès sciences économiques, responsable de projet, B,S,S. ­Volkswirtschaftliche Beratung.
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