Deux semaines de congé de paternité payé : le projet en détail

À l’automne 2019, les Chambres fédérales ont approuvé à de larges majorités un congé de paternité d’une durée de deux semaines pour les hommes exerçant une activité lucrative. Il s’agit d’un contre-projet indirect à une initiative pour un congé de paternité de quatre semaines. Un référendum ayant été lancé contre ce congé de paternité fédéral, le peuple devra se prononcer à ce sujet, probablement en automne 2020.
Bernadette Deplazes
  |  11 mars 2020
    Droit et politique
  • Allocations pour perte de gain
  • Egalité

Le 1er juillet 2005, un congé de maternité de quatorze semaines pour les femmes exerçant une activité lucrative a été inscrit dans la législation suisse. Aujourd’hui, soit quinze ans plus tard, le pays se dote d’un calendrier pour instaurer un congé pour les pères également, qui sera adopté si le peuple approuve le projet de référendum. Jusqu’alors, les travailleurs bénéficiaient en principe d’un congé payé d’un ou deux jours à la naissance d’un enfant, sauf si leur employeur appliquait un règlement plus généreux. Dans la sphère politique, de nombreuses interventions ont tenté de faire naître un congé de paternité, sans succès dans un premier temps.

Le 4 juillet 2017, l’association Le congé paternité maintenant ! a déposé l’initiative populaire fédérale « Pour un congé de paternité raisonnable – en faveur de toute la famille ». Issus des associations faîtières Travail Suisse, de la Faîtière des organisations suisses d’hommes et de pères, d’alliance F et de Pro Familia Suisse, les initiateurs exigeaient l’inscription dans le droit fédéral d’un congé de paternité de quatre semaines financé par le régime des allocations pour perte de gain (APG). Si le Conseil fédéral a reconnu la pertinence d’un congé de paternité pour améliorer la conciliation entre famille et travail, il indique, dans sa prise de position, préférer accorder la priorité au développement d’une offre d’accueil extrafamilial. Il considère qu’il faut laisser aux employeurs ou aux partenaires sociaux la responsabilité d’introduire un congé de paternité et a donc invité le Parlement à rejeter cette initiative (Conseil fédéral 2018).

Le 21 août 2018, la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (CSSS-E) a décidé de déposer une initiative parlementaire (18.441) à titre de contre-projet indirect à cette initiative populaire. Ce projet d’acte prévoit un congé de paternité de deux semaines (dix jours de travail) à prendre dans les six mois suivant la naissance de l’enfant. Le congé serait financé par le régime des allocations pour perte de gain. Il suit l’exemple du congé de maternité existant, comme le souhaitaient les initiateurs ainsi qu’une initiative parlementaire déposée par le conseiller national Martin Candinas en 2014 (« Deux semaines de congé-paternité payé par le régime des APG », 14.415).

En l’espace d’un an environ, les commissions chargées de l’examen préalable et les Chambres fédérales se sont penchées aussi bien sur l’initiative populaire que sur le contre-projet indirect. Elles ont refusé l’initiative populaire, mais accepté par de larges majorités le contre-projet prévoyant un congé de paternité de deux semaines lors du vote final du 27 septembre 2019 (FF 2019 6501). Le comité d’initiative a ensuite retiré son initiative pour un congé de paternité de quatre semaines à condition que la modification de la législation instaurant un congé de paternité de deux semaines entre en vigueur (FF 2019 6509). Un référendum ayant été lancé contre le contre-projet retenu par le Parlement, le peuple devra se prononcer à ce sujet, probablement en automne 2020. S’il refuse le congé de paternité de deux semaines, l’initiative sera alors réactivée.

Allocation et congé de paternité selon le contre-projet

Le congé de maternité comme modèle  Le congé de paternité est conçu en grande partie selon les principes régissant le congé de maternité existant. Concrètement, la loi fédérale sur les allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité (LAPG, RS 834.1) règle désormais également les allocations de paternité. Les dispositions relevant du droit du travail sont intégrées au code des obligations (CO).

Les hommes exerçant une activité lucrative ont droit à une allocation Pour prétendre à une allocation pour un congé de paternité de deux semaines, un homme doit exercer une activité lucrative à la naissance de son enfant, comme employé ou comme indépendant. De plus, il doit avoir été assuré à l’AVS obligatoire au cours des neuf mois précédant la naissance et avoir travaillé pendant cinq mois au moins durant cette période. En vertu de l’accord de libre-échange avec l’UE et de l’accord de l’AELE portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, les périodes d’assurance et d’activité lucrative réalisées dans un État membre de l’UE ou de l’AELE sont ici comptabilisées.

L’homme doit pouvoir prouver être le père légal de l’enfant, que ce soit par les liens du mariage ou par reconnaissance de paternité. Dans certains cas, la paternité n’est pas définie à la naissance. Si la filiation n’est établie qu’à une date ultérieure, par reconnaissance ou par décision judiciaire, le père a le droit, pour autant que cela soit encore possible, de prendre un congé de paternité dans les six mois suivant la naissance de l’enfant (délai-cadre d’octroi du congé de paternité).

Dans la mesure où le père remplit ces critères, aucune restriction n’est applicable (p. ex. en raison de son âge ou si l’enfant est né à l’étranger). En cas de naissance multiple, le père bénéficie d’une seule allocation, tout comme la mère. Il n’est cependant pas exclu qu’un homme touche plus d’une allocation par an, s’il devient père plusieurs fois au cours de la même année.

Droit aux allocations pour les hommes ­percevant un revenu de substitution Les hommes n’exerçant pas d’activité lucrative au moment de la naissance de leur enfant, par exemple parce qu’ils sont sans emploi ou en incapacité de travail pour des raisons de santé, peuvent à certaines conditions prétendre à une allocation de paternité. Le Conseil fédéral règlera les détails dans une ordonnance. Il est toutefois exclu qu’un homme perçoive à la fois une allocation de paternité et des indemnités journalières d’une autre assurance sociale. Si un père opte pour l’allocation de paternité, celle-ci est prioritaire. Cela signifie qu’aucune indemnité d’une autre assurance sociale n’est versée au cours de la période concernée.

Le droit à l’allocation et le délai-cadre courent à partir du jour de la naissance Le droit à l’allocation naît le jour de la naissance de l’enfant. La durée de la grossesse ne joue aucun rôle, mais l’enfant doit être né viable. Si l’enfant est mort-né, le père ne bénéficie d’aucun droit. Le jour de la naissance commence à courir le délai-cadre de six mois au cours duquel le père peut faire valoir son droit à un congé de paternité de deux semaines. S’il ne prend qu’une partie du congé pendant cette période, l’allocation lui est versée uniquement pour les jours de congé utilisés. En accord avec son employeur, le père est libre de prendre un congé de deux semaines consécutives, de deux fois une semaine ou encore de répartir les jours sur les six mois. Cette flexibilité tient compte des modalités de planification à la fois des familles et des employeurs.

Fin du droit à l’allocation Le père doit utiliser son congé de paternité dans les six mois suivant la naissance de l’enfant. Le droit à l’allocation s’éteint à la fin de cette période. Si le père ou l’enfant décède, le droit à l’allocation pour les jours précédant le décès et non utilisés s’éteint également. Il ne se transmet dès lors ni à la mère de l’enfant, ni à la personne qui en obtiendrait la garde. Des rentes de survivants (rentes d’orphelin et de veuve) sont prévues dans ce genre de cas. La fin du droit peut aussi survenir si la paternité prend fin, par exemple à la suite d’une exclusion de paternité.

Allocation à hauteur de 80 % du revenu de ­l’activité lucrative Comme celle de maternité, l’allocation de paternité équivaut à 80 % du revenu moyen de l’activité lucrative obtenu avant le début du droit à l’allocation. De façon analogue aux allocations pour perte de gain en cas de service et de maternité, les allocations de paternité sont versées sous la forme d’indemnités journalières d’un montant maximal de 196 francs par jour. Si le père prend une ou deux semaine(s) entière(s) de congé de paternité, sept respectivement quatorze indemnités journalières lui sont versées (samedi et dimanche compris). S’il opte pour des jours de congé isolés, les deux semaines de congé équivalent à dix jours de travail. Pour des raisons d’équité, deux jours d’indemnités supplémentaires sont versés pour chaque tranche de cinq jours de congé. Cette approche garantit une couverture de 80 % du revenu moyen de l’activité lucrative sur deux semaines (avec un plafond à 196 fr. par jour) si le père choisit de prendre dix journées de congé isolées.

Contrairement aux allocations de service mais similairement à celles de maternité, les allocations de paternité comprennent uniquement des allocations de base et excluent toute allocation pour enfant, pour frais de garde ou d’exploitation pour indépendants.

Calcul sur la base du revenu avant la ­naissance et versement par les caisses de ­compensation Le montant de l’allocation est calculé en fonction du revenu que le père percevait directement avant la naissance de l’enfant. Il est établi sur la base des mêmes règles et principes que l’allocation accordée aux personnes faisant du service ou en congé de maternité. Les caisses de compensation sont dans ce contexte également chargées d’octroyer les indemnités journalières à l’employeur si celui-ci verse un salaire ou directement au père de l’enfant. Pour limiter la charge administrative de l’employeur, les indemnités journalières sont versées uniquement après que le père a pris l’ensemble des jours de congé de paternité auxquels il a droit.

Primauté de l’allocation de paternité et ­garantie des droits acquis Pendant la période durant laquelle un homme exerce son droit à l’allocation de paternité, il ne reçoit en principe aucune indemnité de la part d’autres assurances sociales (par ex. indemnités de l’assurance-chômage ou de l’assurance-invalidité). Le même principe de coordination s’applique déjà à l’allocation de maternité. Si, avant la naissance de l’enfant, le père percevait une indemnité journalière qui remplaçait un revenu issu d’une activité lucrative, le montant de l’allocation de paternité s’élève au moins au montant de l’indemnité journalière versée jusqu’alors (garantie des droits acquis). Cette disposition correspond également à celle en vigueur pour l’allocation de maternité.

Droit au congé de paternité pour les employés Tandis que les dispositions régissant l’allocation pour perte de gain pour tous les pères exerçant une activité lucrative (indépendants compris) relèvent du régime des APG, le droit au congé doit être garanti par le droit du travail (inscription au code des obligations). Conformément à l’allocation de paternité définie dans le régime des APG, les mêmes prérequis que ceux liés à l’allocation s’appliquent à la paternité, à la durée du congé et aux modalités d’indemnisation. Bien que le droit à l’allocation implique des durées d’assurance et de travail minimales, tous les employés masculins peuvent prétendre à un congé de paternité, y compris ceux qui n’ont pas droit à une allocation de paternité. À noter que l’employé a le droit, mais non l’obligation, de prendre ce congé. S’il n’exerce pas ce droit au cours des six mois suivant la naissance de l’enfant, celui-ci devient caduc. L’employeur n’a pas le droit d’obliger un employé à renoncer au congé de paternité.

Prolongation du délai de résiliation Contrairement à ce qui est prévu dans le cas d’une maternité, l’employeur peut mettre fin au contrat de travail d’un homme qui a droit au congé de paternité. Il peut résilier le contrat avant ou pendant le délai-cadre de six mois. Si l’homme concerné n’a pas encore exercé, en tout ou partie, son droit à un congé de paternité, il a la possibilité de bénéficier du solde de jours de congé restants avant la fin des rapports de travail. Le cas échéant, le délai de résiliation est prolongé du nombre de jours de congé restants au moment de la résiliation. La prolongation du délai de résiliation s’applique dans les deux cas suivants : premièrement, lorsque le contrat de travail est résilié avant la naissance de l’enfant, mais que les rapports de travail existent toujours au moment de la naissance (prolongation de deux semaines du délai de résiliation) ; deuxièmement, lorsque le contrat de travail est résilié durant les six mois suivant la naissance de l’enfant (prolongation équivalant au nombre de jours de congé restants au moment de la résiliation). Si les rapports de travail prennent fin avant la naissance de l’enfant, le délai de résiliation ne peut être prolongé. Si le travailleur concerné ne fait pas usage des jours de congé auxquels il a droit au cours du délai de résiliation prolongé, il perd ce droit. La prolongation du délai de résiliation doit être employée pour les jours de congé de paternité et non pour d’autres raisons telles que des jours de vacances que l’employé n’aurait pas pris.

Aucune réduction des vacances Concernant le droit aux vacances, les dispositions s’appliquant aux femmes prenant un congé de maternité valent également pour les hommes : lorsqu’un travailleur prend un congé de paternité, ses vacances ne peuvent pas être diminuées.

Financement et réalisation Le congé de paternité est financé de manière paritaire au moyen des cotisations salariales perçues dans le cadre du régime actuel des allocations pour perte de gain. Pour couvrir les coûts, estimés à 230 millions de francs pour 2021, il sera probablement nécessaire de faire passer le taux de cotisation APG de 0,45 à 0,5 %. Concernant le paiement des indemnités journalières, les principes en vigueur pour les autres allocations pour perte de gain (en cas de service ou de maternité) s’appliquent. Les caisses de compensation AVS sont responsables du versement des indemnités du régime des APG.

Juriste, domaine AVS, prévoyance professionnelle et PC, secteur Prestations AVS/APG/PC, OFAS.
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