Consultation sociale 2.0

L’accès des personnes économiquement défavorisées aux offres d’information et de conseil à bas seuil varie en fonction du groupe-cible et du domicile. Le potentiel que représente ­Internet pour s’informer par soi-même et trier automatiquement les informations n’est ainsi pas pleinement exploité.
Michelle Beyeler, Konrad Walser
  |  08 décembre 2016
    Recherche et statistique
  • Famille
  • Pauvreté

Dans le cadre du Programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, un projet de recherche et de développement a jeté les bases d’une plateforme d’information à bas seuil destinée aux personnes économiquement défavorisées (cf. Beyeler et al. 2016). L’objectif consistait à dresser l’inventaire des offres d’information et de conseil et d’élaborer une ébauche de structure de telle sorte que les renseignements puissent être mis en ligne en favorisant autant que possible les synergies. Ce recensement a été effectué à plusieurs niveaux : lors de deux ateliers réunissant les parties prenantes, dans le cadre de recherches approfondies sur Internet et à la suite d’un sondage en ligne auprès de services de consultation.

Accès aux services d’information à bas seuil Afin de prévenir et de combattre la pauvreté, il est important d’apporter rapidement conseils et soutien aux personnes défavorisées. De nombreuses personnes précarisées ont toutefois beaucoup de peine à accéder au système de sécurité sociale, ce qui fait qu’elles ne touchent pas les prestations qui leur sont pourtant dues, que cela soit sous forme d’argent ou de services. Par conséquent, les difficultés que rencontrent les plus démunis tendent souvent à s’aggraver encore et à se répercuter sur d’autres aspects de la vie ; trouver une solution aux problèmes rencontrés s’avère fastidieux et long. C’est pourquoi les guichets sociaux à bas seuil peuvent grandement contribuer à améliorer l’efficacité du système de sécurité sociale (Bachmann et al. 2004). En fournissant rapidement les informations importantes et en procédant à un premier tri, ces antennes favorisent l’accès au système d’aide des personnes frappées par la pauvreté.

Services de consultation sociale polyvalents L’inventaire a identifié différents acteurs, structures et formes au niveau des services de consultation sociale polyvalents et à bas seuil. Sont particulièrement accessibles les offres d’aide concrètes à l’instar des points de rencontre pour personnes précarisées, des hébergements d’urgence ou des soupes populaires, qui, outre une aide directe, dispensent des conseils professionnels. Ce type d’aide est souvent proposé par des associations, des fondations et des églises, mais aussi parfois par les cantons, les villes et les communes. Dans la plupart des cas, les guichets proposés par les entités publiques sont tenus par les services sociaux, ce qui devrait permettre un accès plus aisé. Bien que les offres de conseil des œuvres d’entraide et des églises ainsi que des différentes organisations de pairs soient fondamentalement bien accessibles, la consultation par un spécialiste ne se fait pas toujours de manière anonyme et, pour des raisons d’emploi du temps, a lieu uniquement sur rendez-vous. Dans le cas du soutien à bas seuil des groupes d’entraide, l’accent est davantage mis sur les échanges entre personnes concernées, et moins sur les conseils spécialisés. A cet égard, il est primordial d’avoir accès à Internet pour rechercher des informations clés ou obtenir de l’aide pour déposer une candidature ou rédiger un courrier. Toutefois, à l’échelle nationale, il n’existe que peu de groupes et projets d’entraide actifs dans les domaines de la pauvreté, de la dépendance à l’aide sociale ou du chômage.

La forme de consultation privilégiée est l’entretien sur place, suivi de la consultation par téléphone (cf. graphiqueG1). La plupart des services de conseil polyvalents et à bas seuil sont accessibles sur place, tandis que d’autres ne sont disponibles que par téléphone voire parfois uniquement en ligne. La consultation par SMS ou par chat est rare et s’adresse principalement aux enfants et aux adolescents. 63 % des guichets sondés prodiguent leurs conseils en différé par e-mail ou au moyen d’un formulaire de contact. Si ce canal de communication est plus rare que l’entretien sur place ou par téléphone, il est de plus en plus utilisé.

La consultation en ligne permet en principe un accès anonyme aux spécialistes. En ce sens, il s’agit d’un service à bas seuil. La consultation asynchrone permet aux personnes qui sollicitent des conseils de formuler leur requête 24h/24 et de l’envoyer à un service compétent. Du côté des spécialistes, répondre par écrit aux demandes nécessite généralement davantage de temps qu’un entretien oral. En outre, il n’y a aucune interaction directe dans les consultations en ligne, sauf dans le cas d’un chat. S’agissant des conseils en matière d’endettement ou d’assurances sociales, il est souvent nécessaire de consulter des documents et des budgets et de préparer des aides spécifiques ou complémentaires. En pareil cas, l’échange sur place est souvent indispensable. Lorsque des données doivent être fournies dans le cadre d’une consultation en ligne, la question de la sécurité se pose au niveau de l’échange d’informations et du respect de la sphère ­privée.

Informations et tri sur Internet De nombreuses informations pertinentes destinées aux personnes précarisées se trouvent sur des sites Internet cantonaux et communaux. Ce sont en particulier les cantons de petite et de moyenne taille qui donnent une vue d’ensemble structurée par thème concernant la sécurité sociale et leurs propres offres de conseil et de soutien, ainsi que des indications sur l’offre des autres acteurs publics et privés. Certains cantons disposent de banques de données en ligne avec des fonctions de recherche élargies ; des listes de liens ou des listes en format pdf sont parfois mises à disposition. Toutefois, suivant la commune de domicile, le site Internet du canton n’est pas forcément la meilleure source d’information. Les personnes vivant dans une grande ville trouveront des informations généralement plus adaptées sur le site de leur commune. Quant aux cantons de Suisse romande, ils exploitent, en collaboration avec l’Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale (ARTIAS), une plateforme d’information qui rassemble tous les thèmes sociaux, les bases légales et les offres proposées1.

Pour certaines populations – en premier lieu les personnes en situation de handicap, les seniors, les parents et familles ou encore les enfants et les adolescents – ainsi que pour certaines thématiques – les assurances sociales, les dettes, les comportements addictifs –, des plateformes centrales de conseil et d’information ont été développées, lesquelles reposent également sur de vastes banques de données et renvoient à un éventail d’offres. En revanche, en matière de logement et d’abri, il n’existe aucune plateforme centrale et les services de conseil à bas seuil sont également rares.

Des pistes pour l’avenir Internet recèle un potentiel certain pour la consultation sociale, qu’elle soit privée ou publique. Les personnes frappées par la pauvreté ont la possibilité de s’informer par elles-mêmes et de prendre des décisions de manière autonome. Elles engagent alors leurs propres ressources et ne se contentent pas de recevoir passivement de l’aide. Du fait que les gens, principalement les plus jeunes générations, s’informent de plus en plus par eux-mêmes sur la toile, on peut supposer que les informations pertinentes et facilement accessibles sur Internet seront de plus en plus fréquemment utilisées. Il est donc fort probable que le système de consultation et d’aide devienne plus efficace grâce à la qualité des informations en ligne. Un premier tri automatique permet d’éviter que des antennes soient amenées à traiter des demandes qui ne relèvent pas de leurs compétences. Les services de conseil personnalisés qui nécessitent plus de ressources peuvent ainsi davantage se concentrer sur les demandes complexes.

De bons sites web pour la consultation sociale

Deux ateliers ont permis de dégager les principaux besoins en matière d’information ainsi qu’une série de critères fonctionnels pour que les personnes précarisées puissent mieux se repérer sur la toile.

Les discussions ont mis en évidence une exigence fondamentale : la facilité d’utilisation (usability), c’est-à-dire la possibilité d’accéder aisément et rapidement aux informations désirées par l’utilisateur final. Pouvoir adapter facilement la taille des caractères, éviter les pages avec défilement et intégrer une fonction « lecture à voix haute » sont autant de fonctions définies comme indispensables afin de rendre l’accès aux informations en ligne plus facile.

S’agissant de la structure de l’offre, il est préconisé de limiter le nombre de niveaux de navigation et de prévoir des outils pour s’orienter (fonction « guide ») ainsi que des pictogrammes. La recherche en mode plein texte devrait tolérer les fautes d’orthographe.

Le smartphone est souvent le seul appareil permettant aux personnes défavorisées d’accéder à Internet. C’est pourquoi, lors de la conception d’un site web, il faut veiller à ce que les contenus soient lisibles indépendamment du terminal (responsive design).

Un site web pratique doit impérativement aborder les thèmes suivants : travail et formation, logement et abri, finances et endettement ; les conseils juridiques, la vieillesse, la maladie, la famille et l’immigration doivent également occuper une place particulière.

Autre élément important : le langage utilisé pour présenter l’offre. S’il doit être facile à comprendre et ne contenir ni abréviations, ni mots étrangers, ni termes techniques, il s’agit d’éviter tout risque de stigmatisation du groupe-cible. Les personnes précarisées souhaitent en effet être considérées d’égal à égal, avec empathie et sans condescendance. Étant donné que ces personnes ne parlent souvent aucune langue nationale, l’offre devrait également être disponible dans d’autres langues.

Afin que les personnes défavorisées puissent bénéficier en ligne d’une consultation sociale à la fois ciblée et efficace, il est primordial qu’elles aient un accès rapide à des informations pertinentes et que les offres soient présentées de manière simple et conviviale.

Toutefois, la mise en place de plateformes d’informations pertinentes, centrales et actualisées n’est guère aisée du fait de grandes différences au niveau cantonal et local ainsi que de la spécialisation des offres d’information et de conseil en fonction du groupe cible. S’il est dans tous les cas opportun d’envisager une collaboration avec les nombreuses banques de données répertoriant les offres d’ordre social en dégageant des synergies, l’idéal serait de mettre au point une banque de données centrale à laquelle pourraient se rattacher les plateformes d’information et de conseil existantes et futures.

En adaptant les offres sur Internet aux besoins des plus démunis, ceux-ci pourront généralement mieux s’informer par eux-mêmes (cf. encadré). Si les personnes concernées ont la possibilité de participer aux discussions et à la conception des offres, elles en profitent souvent davantage. Au moment de concevoir et de développer les offres d’information en ligne, il serait donc judicieux d’intégrer les cybercafés ou les points de rencontre qui se sont spécialisés dans le conseil aux personnes précarisées. Grâce à ces offres ainsi qu’à d’autres projets favorisant l’accès à Internet, les personnes défavorisées parviendront mieux à s’informer par elles-mêmes. Il en va de l’avenir des services de consultation sociale disponibles sur la toile.

Docteur ès sciences sociales, professeure en politique sociale au sein du département de 
Travail social, Haute école spécialisée bernoise, 
et privat-docent en sciences politiques à 
l’Université de Zurich.
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Docteur ès sciences économiques, chargé de cours au sein du département d’économie, Haute école spécialisée bernoise
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