Bilan intermédiaire de la prévention et de la lutte contre la pauvreté

Lors de la conférence nationale contre la pauvreté, qui s’est tenue en novembre 2016, les villes, les communes, les cantons et la Confédération ont tiré un bilan intermédiaire positif du programme national contre la pauvreté, lancé en 2014.
Michael Löw-Le Bihan
  |  03 mars 2017
  • Pauvreté
  • Politique sociale en général

La conférence du 22 novembre 2016 a rassemblé à Bienne des responsables politiques, des spécialistes et des personnes touchées par la pauvreté, venus de toute la Suisse tirer un bilan intermédiaire du programme national contre la pauvreté. Le but était de mettre en lumière les stratégies et projets de prévention prometteurs et de débattre des enjeux actuels et de pistes de solution, tant du point de vue des spécialistes que des responsables politiques.

Le programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté a été lancé en 2014 par la Confédération, les cantons, les villes, les communes et des organisations privées. Il s’est fixé pour objectif de répertorier les connaissances en matière de prévention et de lutte contre la pauvreté, de donner une impulsion à ces dernières, de coordonner les acteurs et d’encourager la collaboration. Ce programme est limité à fin 2018.

Informations complémentaires:

www.contre-la-pauvrete.ch

Sécurité sociale CHSS, n° 2/2016 : Dossier (www.securite-­sociale-chss.ch).

Les organisateurs de la conférence avaient tenu à ce que des personnes touchées puissent y participer, ce qui a permis de faire connaître certains besoins concrets et de mener des débats proches de la réalité vécue par ces personnes. Les organisations d’entraide représentées au sein du groupe de suivi du programme, qui ont pris la parole en plénum en début de conférence, ont joué un rôle important, relayant les avis de leurs membres. Elles ont mis l’accent, dans leur manifeste, sur la nécessité d’associer les personnes touchées par la pauvreté à la conception, à la mise en œuvre et à l’évaluation des mesures qui les concernent. Elles ont aussi souligné qu’il incombe à l’Etat de garantir que ces personnes puissent effectivement prendre une part active dans ces processus, et que les trois niveaux – national, cantonal et communal – du fédéralisme suisse doivent aussi s’efforcer d’atteindre les personnes qui n’ont pas encore pu faire entendre leur voix.

Bilan politique Les causes de la pauvreté sont variées, ce qui rend particulièrement complexes la prévention et la lutte contre ce phénomène. La pauvreté concerne divers domaines politiques et les trois niveaux du fédéralisme suisse. Comme il importe que tous les acteurs se coordonnent si l’on veut prendre des mesures ciblées et efficaces, les organisateurs ont laissé l’honneur de conclure la conférence à des représentants des pouvoirs publics et des organisations non gouvernementales.

Ces intervenants ont été unanimes à admettre qu’il reste beaucoup à faire pour améliorer la situation des personnes touchées par la pauvreté, et à constater que le programme national contre la pauvreté a amené les résultats que l’on pouvait attendre de lui : le phénomène de la pauvreté a été traité de manière approfondie et est désormais mieux pris en compte. Les intervenants ont également estimé que le programme offre de précieuses bases de discussion et qu’il permet à tous les acteurs de vérifier de quelle manière ils s’acquittent de leurs tâches.

Le directeur de Caritas, Hugo Fasel, a souligné la nécessité de poursuivre après 2018 la collaboration entamée dans le cadre du programme de prévention et de lutte contre la pauvreté. Quant au représentant des communes, Jörg Kündig, il a souhaité que les cantons et la Confédération ne se contentent pas des habituels programmes d’impulsion, mais soutiennent davantage les communes, qui doivent supporter les coûts à long terme des politiques mises en place. Le conseiller fédéral Alain Berset a attiré l’attention sur le fait que le programme a été conçu afin de tenir compte de la répartition des tâches propre au système fédéraliste, de rassembler les forces et de renforcer la collaboration entre les niveaux étatiques. Tous les acteurs doivent assumer leurs responsabilités dans leur domaine, a-t-il ajouté, tout en observant ce qui se fait aux autres niveaux de l’Etat et, si nécessaire, rappeler ces derniers à leurs tâches. Le conseiller aux Etats et président de la CDAS, Peter Gomm, a souligné l’importance de la collaboration intercantonale pour étendre et renforcer le tissu social.

Dans leur déclaration commune du 22 novembre 2016, la Confédération, les cantons, les villes et les communes ont confirmé leur volonté de continuer à collaborer étroitement dans le cadre du programme national contre la pauvreté, et ce jusqu’à fin 2018. Ils ont aussi exprimé leur intention de se fonder sur les recommandations faites dans le cadre du programme pour revoir les stratégies et mesures de lutte contre la pauvreté déjà mises en place, et de les développer si nécessaire.

Bilan opérationnel Lors d’exposés, de présentations et de visites de projets dans le cadre d’ateliers, les participants ont eu l’occasion d’approfondir divers champs d’action : prévention de la pauvreté, égalité des chances, intégration sociale et professionnelle, cadre général de vie. Nous résumons ci-après les principaux aspects relevés.

Comment toucher les personnes concernées Un des intervenants a soulevé une question encore peu étudiée : comment expliquer que de nombreuses personnes ne perçoivent pas les prestations sociales auxquelles elles auraient pourtant droit ? Cette situation génère une pauvreté invisible, contre laquelle le dispositif existant ne peut déployer tous ses effets. Cela vaut tant pour des prestations financières que pour des offres telles que les centres de consultation, les points de rencontre ou l’aide au logement. Il faut que les fournisseurs de ces prestations cherchent à comprendre pourquoi ils ne parviennent pas à atteindre l’ensemble de leur public cible.

Garantir l’égalité des chances L’égalité des chances est un objectif fondamental. Dans plusieurs ateliers et exposés, l’éducation de la petite enfance et la collaboration avec les parents ont été présentées comme d’importants instruments pour garantir ce principe dans les faits. L’encouragement précoce dès la naissance et jusqu’à l’entrée à l’école obligatoire aide les enfants de milieux défavorisés à réussir leur formation et commencer une carrière professionnelle. Cet investissement se révèle doublement judicieux d’un point de vue économique : les enfants qui en bénéficient auront un revenu supérieur à l’âge adulte, et les mères augmentent souvent leur temps de travail quand elles savent leurs enfants sous bonne garde. Le revenu de la famille augmente en conséquence, et la dépendance envers l’aide sociale diminue. Pour que l’encouragement précoce porte ses fruits, il faut toutefois qu’il soit de qualité : les offres doivent être facilement accessibles à tous les enfants ; le personnel doit être formé et se perfectionner régulièrement ; les programmes pédagogiques doivent être adaptés à l’enfant et associer les parents.

Les parents ou les personnes de référence jouent un rôle clé dans le développement de l’enfant, de la naissance à l’adolescence. Or, les parents touchés par la pauvreté ont de la peine à offrir à leur progéniture un environnement stimulant et de bonnes chances de départ. Il convient donc de renforcer leurs compétences relationnelles et éducatives. Pour que la collaboration avec les parents atteigne ses objectifs, il arrive de plus en plus fréquemment que les personnes de référence soient associées aux programmes de formation et que les offres d’encouragement soient conçues avec elles. Il faut aussi les préparer pour qu’elles soient plus à même d’aider leurs enfants dans un moment crucial, celui du choix d’un métier. La formation et le perfectionnement du personnel enseignant doivent par conséquent aborder de manière plus approfondie la collaboration avec les parents.

Favoriser l’intégration sociale et professionnelle Chez les adultes en âge de travailler, la prévention de la pauvreté passe notamment par un soutien ciblé à l’intégration sociale et professionnelle. Dans ce domaine, il s’agit de permettre à des personnes sans formation professionnelle d’acquérir les compétences mathématiques et linguistiques de base, mais aussi de leur offrir des cours de rattrapage.

Les adultes n’ont toutefois pas les mêmes besoins durant la formation de rattrapage que les jeunes en formation, surtout lorsqu’ils sont soutien de famille. Dans ces cas-là, une aide de l’Etat est requise, sous forme de bourses ou d’autres prestations financières, afin de garantir un revenu suffisant durant la formation. De plus, il ne faut pas oublier qu’il est souvent possible de valoriser des connaissances déjà acquises : la reconnaissance des diplômes obtenus à l’étranger peut considérablement améliorer la situation professionnelle des migrants, par exemple. En l’espèce, un coaching peut se révéler judicieux pour identifier ces possibilités et en tirer profit.

Les employeurs jouent un rôle essentiel dans ce domaine, et ils sont d’ailleurs très engagés aux côtés des cantons dans l’intégration professionnelle.

Améliorer les conditions de vie des personnes menacées de pauvreté Autres instruments essentiels pour améliorer les conditions de vie des personnes pauvres, et en particulier des familles défavorisées : des logements à prix abordables et une prévention efficace de l’endettement. La fondation Casanostra, par exemple, offre des logements spacieux et abordables à Bienne, ville où s’est tenue la conférence. Elle propose à ses locataires non seulement un toit pour dormir, mais des appartements dans lesquels ils peuvent se sentir chez eux, ce qui favorise les relations de voisinage et l’intégration dans le quartier.

Une famille qui se loge à bon prix aura moins de peine à payer ses autres frais fixes. Or, les impôts et les primes d’assurance maladie sont la cause la plus fréquente de retards de paiement. Les ménages avec enfants sont nettement plus souvent endettés et touchés par la pauvreté que les autres, et c’est d’autant plus vrai qu’il s’agit de familles monoparentales ou de familles nombreuses. Pour éviter l’endettement des ménages, il faudrait notamment améliorer leurs connaissances en matière financière.

On commence à en savoir plus sur la pauvreté en Suisse : ses principales victimes, la gravité du phénomène, et les solutions pour y remédier. Une dizaine de cantons publient des rapports sociaux sur le sujet, mais chacun d’eux le fait pour des raisons différentes, en suivant sa propre logique. Certains se limitent à une description de la situation, d’autres y présentent aussi l’agenda de leur politique sociale. Les rapports sociaux, comme outils de pilotage politique de la prévention et de la lutte contre la pauvreté, suscitent un intérêt croissant en Suisse et il est désormais question de les harmoniser afin de pouvoir les utiliser comme base de décisions politiques.

MSc, collaborateur scientifique au sein du programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté, domaine Famille, générations et société, OFAS (jusqu’au 31 décembre 2016).
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