AI : les enregistrements sonores favorisent la transparence

Les experts médicaux doivent enregistrer leurs entretiens avec les assurés depuis début 2022. Le législateur a souhaité ainsi améliorer la transparence des expertises.
Michela Messi
  |  15 novembre 2022
    Droit et politique
  • Assurance-invalidité
Les expertises médicales jouent un rôle clé dans l’assurance-invalidité. (Shutterstock)

En un coup d'œil

  • L’enregistrement sonore permet de vérifier, en cas de litige, ce qui a réellement été dit lors de l’entretien.
  • Les assurés ont la possibilité de renoncer à l’enregistrement sonore ou d’en demander sa suppression.
  • Une solution informatique permet de saisir, conserver et garantir l’accès aux enregistrements sonores de l’AI.

Afin de déterminer le droit aux prestations des personnes qui déposent une demande auprès de l’assurance-invalidité (AI), les offices AI chargent souvent des experts médicaux externes de déterminer les conséquences que les atteintes à la santé ont sur leur capacité de travail.

L’expertise médicale revêt un rôle primordial surtout dans la fixation du droit à la rente. Pour cette raison, sa qualité doit être excellente. En réalité, c’est précisément la qualité des rapports d’expertise qui a été de plus en plus remise en question ces dernières années. C’est pourquoi, de nombreuses mesures ont été prises au fil du temps.

Dans le cadre de la révision « Développement continu de l’AI » entrée en vigueur le 1er janvier 2022, le Parlement a inscrit dans la loi deux mesures supplémentaires à celles proposées par le Conseil fédéral dans son message du 15 février 2017. La première mesure s’applique à toutes les assurances sociales et consiste en l’enregistrement sonore des entretiens entre l’assuré et l’expert qui se tiennent dans le cadre d’une expertise médicale. La loi laisse toutefois la possibilité à l’assuré de renoncer à un tel enregistrement. La deuxième mesure prévoit que les offices AI tiennent à jour et publient une liste contenant des informations sur tous les experts et centres d’expertises mandatés par l’AI.

Les parlementaires estiment que l’enregistrement sonore constitue d’une part une mesure de prévention visant à éviter les abus et permet d’autre part d’accroître la transparence et la qualité des entretiens. Ils considèrent que l’enregistrement sonore est le seul moyen qui permet de savoir, en cas de conflit, ce qui a réellement été dit lors de l’entretien. Il s’agit d’un outil qui garantit les intérêts de l’assuré – qui est ainsi protégé si des indications figurant dans l’expertise sont ou lui semblent être erronées –, mais aussi ceux des experts (voir encadré).

Pourquoi faut-il des enregistrements sonores ? Extraits des débats parlementaires

« L’enregistrement sonore constitue d’une part une mesure de prévention visant à éviter les abus ; d’autre part, il permet d’accroître la transparence et la qualité des entretiens. En effet, c’est le seul moyen de savoir, en cas de conflit, ce qui a réellement été dit lors de l’entretien entre la personne concernée et l’expert. »

Christian Lohr, Conseiller national (Centre/TG), séance du 10 décembre 2019


« Aujourd’hui, la question de savoir ce qui a exactement été dit lors de l’expertise donne souvent lieu à des litiges juridiques de longue durée. L’enregistrement des entretiens tel que nous le proposons apporte de la clarté en la matière et protège les deux parties. Cette mesure n’est donc pas seulement dans l’intérêt de l’assuré – qui est ainsi protégé si des indications figurant dans l’expertise sont ou lui semblent être erronées –, mais aussi dans celui des experts. »

Pascale Bruderer Wyss, Conseillère aux Etats (PS/AG), séance du 19 septembre 2019

D’autres formes de saisie de l’entretien ont été examinées : le procès-verbal et l’enregistrement vidéo. La première a été écartée pour des raisons de temps et financières ; la seconde n’a pas été prise en compte pour des raisons de confidentialité.

Concrétisation complexe

La mise en œuvre de la disposition légale a été relativement complexe. La modification de l’ordonnance sur la partie générale des assurances sociales (OPGA), mise en consultation le 4 décembre 2020, proposait de régler l’accès à l’enregistrement sonore, la procédure de renonciation ainsi que les prescriptions techniques à observer.

Ces sujets ont fait couler beaucoup d’encre et les règles proposées ont été entièrement révisées et précisées après la consultation. Afin de ne pas compromettre la relation de confiance entre l’expert et l’assuré et d’éviter que l’assuré se sente influencé dans son choix par l’expert, le Conseil fédéral a décidé de ne pas permettre à l’assuré de renoncer à l’enregistrement sonore devant l’expert. S’il ne veut pas que l’entretien soit enregistré, il devra obligatoirement déposer une renonciation auprès de l’administration.

En outre, il a été permis à la personne assurée de demander la destruction d’un enregistrement effectué, car dans de nombreux cas, ce n’est qu’au cours de l’entretien que la personne examinée prend conscience de la confidentialité des thèmes abordés avec l’expert. Enfin, il a fallu préciser ce que l’on entendait par « entretien », notion prévue par la loi : l’examen somatique, où le médecin ausculte, observe, etc. le patient, doit-il être enregistré en plus des questions posées et réponses de l’assuré ? Le texte actuel de l’ordonnance ne prévoit que l’enregistrement de l’anamnèse et la description des troubles relatée par la personne assurée.

Pour des raisons de protection des données, l’accès à l’enregistrement sonore a été limité à un groupe très restreint de personnes et institutions : l’assuré même et son représentant, l’organe d’exécution compétent (l’office AI dans les cas AI) ainsi que les tribunaux appelés à statuer sur un éventuel recours.

Une application web

Jusqu’à l’entrée en vigueur du « Développement continu de l’AI », la plupart des éléments déterminants pour la fixation du droit aux prestations revêtaient la forme écrite. Cette forme permettait une conservation relativement simple et l’impression sur papier ou la conversion en format PDF. En revanche, les enregistrements sonores, qui concernent environ 15 000 assurés par an dans l’AI et occupent beaucoup d’espace de stockage, nécessitent une méthode de conservation moderne.

Pour que les experts puissent enregistrer facilement les entretiens et les transmettre aux offices AI, une solution informatique dédiée à l’assurance-invalidité a été créée. Une application pour smartphones permet aux experts d’enregistrer un entretien, de le réécouter et de le transmettre à l’office AI. L’enregistrement sonore n’est pas conservé sur le smartphone, mais téléchargé et stocké sur une plateforme sécurisée. Les experts peuvent également réaliser l’enregistrement avec un dictaphone et le télécharger ensuite sur la plateforme. Vu qu’il s’agit de données particulièrement sensibles, une grande attention a été accordée à la sécurité et à la protection des données lors de la mise en œuvre de l’application.

Dans la phase initiale, il y a eu quelques problèmes dus à la difficulté du système à reconnaître certains formats d’enregistrement. Toutefois, ces problèmes ont pu en grande partie être éliminés.

Jusqu’à la mi-octobre 2022, 20 500 enregistrements ont été saisis

Pour les cas de litige

Compte tenu de la finalité de l’enregistrement sonore et de sa forme particulière de conservation, les directives prévoient que lorsque l’assuré demande l’accès à son dossier, l’enregistrement n’est pas transmis d’office avec les actes. En effet, l’enregistrement a comme but de vérifier, en cas de litige, ce qui a été effectivement dit lors de l’entretien.

La personne assurée peut toutefois demander expressément de l’écouter. Par exemple lorsque, en lisant l’expertise, qui en soi sert de base à la décision de l’office AI, elle estime que le rapport d’expertise ne reproduit pas correctement les déclarations faites pendant l’entretien. Dans ce cas, l’office lui transmettra les instructions ainsi que les données nécessaires pour accéder électroniquement à l’enregistrement sonore et pouvoir ainsi l’écouter.

L’instrument étant informatisé, il ne peut être totalement exclu que des problèmes techniques surviennent qui ne permettent pas la reproduction complète de l’enregistrement. Dans de tels cas, la question s’est posée de savoir comment procéder : Répéter l’entretien ? Remettre en cause une partie ou l’ensemble de l’expertise ? Ou garder sa validité ? Une solution proportionnée s’impose dans ces cas. Pour cette raison, impliquer la personne assurée avant de définir la marche à suivre lorsqu’un défaut technique se présente semble être la meilleure des solutions.

Effets sur l’activité des experts

Depuis plusieurs années, les experts sont confrontés à divers changements visant à améliorer la qualité des expertises médicales et leur transparence. Les exemples les plus significatifs sont la création d’une plateforme d’attribution aléatoire des expertises, ainsi que l’introduction d’une structure uniforme et très détaillée des rapports d’expertise qui tient compte des indicateurs développés par le Tribunal fédéral. L’enregistrement des entretiens représente une exigence supplémentaire, même si elle n’est que formelle et ne concerne pas le contenu. Dans ce cadre, les experts sont tenus de garantir que l’enregistrement se déroule correctement et de respecter les prescriptions sur la sécurité des données qu’il s’agisse du stockage ou de la transmission.

En résumé, il est possible d’affirmer que l’introduction des enregistrements sonores a bien fonctionné dans l’AI d’un point de vue technique. Dans la phase initiale, il y a eu quelques défauts dus au nouveau système, ce qui est normal dans une procédure aussi complexe. D’un point de vue matériel, on ne pourra juger qu’avec le temps dans quelle mesure les enregistrements sonores aident les parties à éviter des litiges. Une première évaluation aura lieu à l’occasion du quatrième programme pluriannuel de recherche sur la mise en œuvre de l’assurance-invalidité.

Responsable suppléante, Procédures et rentes, Assurance-invalidité, Office fédéral des assurances sociales (OFAS)
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